On les croit mûrs pour la retraite, mais les Rolling Stones ne l'entendent pas ainsi. Jagger, Richards et compagnie font un autre tour de piste pour célébrer leurs 50 ans de vie commune tout en arrondissant leurs fins de mois. It's only rock'n'roll, comme ils disent.

En 1972, j'ai fait la queue toute la nuit devant le Forum pour acheter mon premier billet de spectacle des Rolling Stones. Sept dollars et des poussières. Ce n'est donc pas d'hier que les Stones exigent des prix exorbitants. La business du rock, c'est un peu eux qui l'ont inventée, avec des complices qui se nommaient Bill Graham et Michael Cohl.

Le mois dernier, le magazine Rolling Stone nous a appris qu'un prochain coffret des Stones, Brussels Affair, se vendrait autour de 750$. Une affaire de rien pour le vinyle d'un spectacle de 1973 dans la capitale belge, un beau livre abondamment illustré, une lithographie et, en prime, une montre. D'autres objets de collection du même genre suivront.

Cette année pourtant, la réalité économique semble rattraper les vénérables garnements du rock. Les spectacles nord-américains de leur mini-tournée 50 & Counting - 18 spectacles dans 11 villes, pour les Stones, ce n'est rien - n'affichent pas tous complet.

À Montréal, où le groupe et son producteur américain AEG louent la salle, il reste encore des billets, mais pas des masses et uniquement parmi les plus chers (635$), nous dit-on du bout des lèvres. Et comme la faune friquée du Grand Prix de Formule 1 sera en ville ce week-end-là, il n'est pas du tout impossible que le Centre Bell soit plein à craquer le 9 juin au soir.

Les noces d'or

Avant chacun des spectacles de la tournée 50 & Counting, les fans ont droit à un petit film à la gloire du plus durable des groupes rock. Des badauds disent à la caméra comment les Stones ont changé leur vie, des vedettes aussi, dont Johnny Depp, Iggy Pop, Pete Townshend et Cate Blanchett qui leur envie leur taille d'adolescent.

Il est tout à fait légitime de célébrer les 50 ans d'un groupe rock, un anniversaire hautement improbable quand ils ont uni leurs forces en 1962. Le film Shine a Light, réalisé par Martin Scorsese en 2006, nous montre un jeune Jagger dont le groupe existe depuis à peine deux ans réfléchissant à voix haute sur son avenir. «Je pense qu'on est bien en selle pour au moins une troisième année», dit-il le plus sérieusement du monde. En 1972, le ton a changé. Dick Cavett lui demande s'il se voit faire la même chose à 60 ans et Mick-les-babines lui répond, suave: «Oui, sans aucun doute.»

Jagger aura 70 ans le 26 juillet; Richards, le 18 décembre.

Le problème des Stones en 2013, ce n'est pas tant leur âge que l'impression tenace que d'une tournée à l'autre, ils rebrassent toujours le même répertoire. Ils en sont conscients, bien sûr. Ce n'est pas un hasard si dans le concert filmé par Scorsese, ils jouent une demi-douzaine de chansons moins prévisibles. C'est aussi pour briser la routine qu'ils invitent les spectateurs de leur tournée actuelle à voter en ligne pour une chanson qu'ils veulent entendre. À Toronto, samedi dernier, c'était Street Fighting Man. Bon choix.

Les Stones ont également un invité-surprise à chaque spectacle. À Toronto, le duo de Jagger avec Carrie Underwood pendant It's Only Rock'n'Roll fut un coup d'épée dans l'eau, tellement la chanteuse country américaine paraissait intimidée aux côtés du vieux routier. Rien à voir avec Lady Gaga qui, le 15 décembre dernier au New Jersey, avait fait paraître tout petit le maître showman pendant Gimme Shelter.

Imaginez un instant l'indifférence dans laquelle serait accueillie Carrie Underwood au Centre Bell. C'est Nanette qu'il nous faudrait ou, rêvons un peu, Céline Dion. À moins que les Stones ne recrutent Arcade Fire comme Springsteen l'avait fait à Ottawa en 2007.

Franchement impressionnants

Il y a tout de même matière à se réjouir dans ce spectacle des Stones. Samedi dernier, des spectateurs de tous les âges sont restés debout de la toute première chanson, Get Off of My Cloud, jusqu'à l'ultime rappel, (I Can't Get No) Satisfaction.

Mick Jagger est toujours l'infatigable meneur de jeu qui sautille et grimace pendant deux heures. Il lui arrive d'en beurrer un peu épais, mais on peut toujours compter sur lui pour donner un spectacle digne de ce nom. La bonne nouvelle, c'est que Keith Richards s'investit pleinement, lui qui, à ses dernières présences au Centre Bell, immédiatement après le congé des Fêtes, donnait l'impression de souffrir de narcolepsie.

Cette fois, les Stones arrivent à Montréal avec une douzaine de spectacles dans le corps et ça paraît. Par moments, ils sont franchement impressionnants. Le duo de Jagger et Lisa Fischer dans Gimme Shelter est un grand cru comme le sont tous ces moments d'étroite complicité entre les guitaristes Keith Richards et Ronnie Wood, l'un intense et brut, l'autre coulant à souhait. Et You Can't Always Get What You Want, avec la participation d'une chorale d'école secondaire, est un moment d'émotion pure.

Mais le morceau d'anthologie de ce spectacle, celui qui n'a pas de prix, c'est quand le guitariste Mick Taylor vient jouer Midnight Rambler avec ses compagnons de jeunesse, dont un Jagger survolté à l'harmonica. Les gars improvisent, s'observent et sourient de bonheur.

Dans des moments comme celui-là, les Rolling Stones peuvent encore prétendre au titre de meilleur groupe de l'histoire du rock.

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LES ROLLING STONES, AU CENTRE BELL, LE 9 JUIN