Ombre et lumière: sur The Blue Room, son nouvel album (Universal), la chanteuse américaine Madeleine Peyroux plonge, après quelques chansons ensoleillées tirées d'un album culte de Ray Charles, dans les eaux plus sombres dont elle est familière.

Madeleine Peyroux a toujours été habitée par un certain vague à l'âme. Son nouveau disque ne déroge pas à la règle.

Après quelques morceaux ensoleillées, tirées de Modern Sounds of Country and Western Music Vol.I et II, disques parus au début des années 60 où Ray Charles mêlait soul, jazz, gospel et country music, le climat devient rapidement plus désenchanté.

S'enchaînent des reprises de chansons où il est question d'amours brisées, de solitudes, d'individus alcooliques ou «accrocs» aux drogues dures, d'illusions perdues, avec deux versions déchirantes de Gentle on my Mind (John Hartford) et Desperadoes Under the Eaves (Warren Zevon).

Les vagues de cordes, dont les arrangements sont signés Vince Mendoza, accentuent encore le tragique de ces chansons.

Madeleine Peyroux offre aussi une version magistrale de Bird on a Wire de Leonard Cohen, son auteur fétiche, qui n'est pas non plus réputé pour son caractère enjoué.

La chanteuse a toujours conservé une grande part de mystère. On sait qu'elle est née à Athens en Georgie il y a une quarantaine d'années, d'un père d'origine acadienne et d'une mère professeur de français, mais aucun site ni dictionnaire ne mentionne sa date exacte de naissance.

Tout au plus sait-on qu'elle a quitté le lycée vers l'âge de 15 ans, s'est aventurée à Paris et en Europe dans les années 80 où elle chante avec The Riverboat Shufflers, un groupe de rue, et intégré le Lost Wandering Blues And Jazz Band à New York au début des années 90.

Dreamland, le premier album en 1996 de cette chanteuse bohême, la sort de l'anonymat: par sa manière d'interpréter des chansons des années 30 entre jazz, folk et blues, d'une voix douce mais brisée, elle est comparée à la grande Billie Holiday.

La comparaison était sans doute trop lourde à porter pour cette femme introvertie, tourmentée et farouche, subitement placée sous le feu des projecteurs: elle disparaît des radars pendant huit ans, n'interrompant qu'en 2004 un long silence discographique avec Careless Love.

Depuis, malgré une nouvelle fugue qui poussa sa maison de disque à engager un détective pour la retrouver à Paris, Madeleine Peyroux s'est stabilisée, et publie des disques à intervalles réguliers.

Elle est aussi devenue une artiste «crossover», ouvrant largement son catalogue avec, aux côtés de chansons de Bessie Smith, d'autres plus contemporaines de Bob Dylan, Tom Waits, John Lennon ou Elliot Smith.

Cette francophile s'attaque aussi parfois aux mythes de la chanson hexagonale, comme Édith Piaf (La Vie en rose), l'une de ses héroïnes, Serge Gainsbourg (La Javanaise), ou Joséphine Baker (J'ai deux amours).