Il a tenu la guitare auprès d'Ariane Moffatt. Elle a chanté avec Pierre Lapointe. Joseph Marchand et Émilie Laforest constituent le noyau créatif du groupe Forêt, qui surprend agréablement avec sa pop de chambre épique et hantée.

Sans François Lafontaine, Émilie Laforest et Joseph Marchand seraient sans doute encore en train de peaufiner leurs chansons aériennes et on n'en saurait rien. «Il nous a tirés hors de notre bulle de composition», dit la chanteuse, au sujet du claviériste de Karkwa, que son compagnon guitariste et elle connaissent depuis longtemps.

«J'ai vu tout de suite où les chansons pouvaient aller. Quand ça arrive, tu veux juste les entendre à un autre niveau, dit leur ami musicien, qui a finalement coréalisé leur premier disque. Des projets comme ça, il ne s'en fait pas beaucoup, alors c'est important de les faire exister, que ça vive.»

Par «projets comme ça», François Lafontaine parle de chansons hors formats, basées sur un travail rigoureux et réfléchi de composition et d'arrangements. Émilie Laforest confirme que, pour elle, la musique est d'abord un art d'écriture. Ses partitions vocales n'ont d'ailleurs rien d'improvisé: elle les a d'abord écrites sur des portées.

Émilie Laforest et Joseph Marchand se sont connus au cégep Saint-Laurent, il y a une quinzaine d'années. François Lafontaine y était aussi, de même que Marie-Pierre Arthur, Ariane Moffatt, Louis-Jean Cormier et d'autres futurs membres de Karkwa. «Sauf que moi j'étais en musique classique. Eux, ils pensaient que j'étais snob. Ils ne savaient pas que j'étais cool», s'amuse Émilie Laforest.

Joseph Marchand admet qu'ils vivaient sur des planètes différentes à l'époque. «Je pensais que John Coltrane, c'était Dieu», raconte le guitariste, pince-sans-rire. «Il te parlait, hein?», se moque François Lafontaine, qui évoque lui aussi «des visions» avec Coltrane dedans. Ces deux-là ne devaient pas respirer que de l'air frais sur le campus...

Envol contrôlé

Forêt ne garde pas de trace de ce culte pour l'éclatant jazzman. Les paysages sonores peints par le tandem et ses collaborateurs (dont Philippe Brault et Robbie Kuster) misent sur de multiples couches de guitares arpégées, de voix et de claviers. Joseph Marchand et Émilie Laforest évoquent pêle-mêle l'inspiration de Portishead, du krautrock et de Mahler.

«Le caractère orchestral de nos chansons provient des claviers, précise le guitariste. Ils amènent un côté musique de chambre et des textures que les guitares font moins ou ne peuvent pas faire.» Forêt ne fait pas de la «musique de souper», pour reprendre les mots de sa chanteuse. «Il y a quelque chose de chargé, convient-elle, c'est un mood de poète!»

Puisque ni son compagnon ni elle ne se sentaient à l'aise avec les mots, ils ont fait appel à une vraie poétesse, Kim Doré, «qui a beaucoup nourri le travail de composition». Sa langue plonge dans les tourments intérieurs, qu'elle place parfois en parallèle avec les forces et les humeurs de la nature.

Creuser et toucher les recoins de l'âme, c'est aussi ce que cherchent les musiciens. «J'ai toujours adoré les musiques religieuses et celles qui tendent vers un sentiment d'élévation. Dans mon processus de composition, c'est là que j'étais», établit Joseph Marchand. Ce regard tourné vers le ciel se trouve contrebalancé par des mélodies fortes, envoûtantes et de passionnants jeux de contrastes dans les arrangements.

Émilie Laforest et Joseph Marchand s'étonnent d'avoir fait un disque aussi pop. Ceux pour qui l'étiquette «pop» renvoie aux chétives rengaines commerciales trouveront au contraire l'univers de Forêt franchement expérimental. «Si j'essayais de faire quelque chose de plus avenant, je serais poche, croit la chanteuse. Je ne pourrais pas chanter un jingle de Coke. Je n'ai pas cette légèreté-là.» Forêt a bien mieux: un goût de l'aventure et un instinct sûr.

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Les arbres de Forêt

Émilie Laforest, composition

«Émilie a fait des trucs vraiment flyés», assure Joseph Marchand. La chanteuse formée au chant classique a un penchant pour l'électroacoustique et la musique contemporaine. Pierre Lapointe l'a recrutée pour son Conte crépusculaire et pour son disque Punkt (sur Monsieur, notamment). Émilie Laforest a aussi collaboré avec l'exigeante metteure en scène Brigitte Haentjens, entre autres pour L'opéra de quat'sous.

Joseph Marchand, composition

Guitariste, Joseph Marchand était auprès d'Ariane Moffatt pour la conception du disque qui l'a révélée, Aquanaute, et l'a accompagnée lors de ses premières tournées. Deux Lapointe figurent aussi dans son CV: Stéphanie (il a collaboré à ses deux disques en plus de l'accompagner sur scène) et Pierre (il joue de la guitare sur Punkt).

Kim Doré, textes

Poète, Kim Doré a remporté le prix Émile-Nelligan 2004 pour Le rayonnement des corps noirs, recueil qui a attiré l'attention d'Émilie Laforest et l'a incitée à lui proposer de mettre des mots sur leur musique. «Ses textes ne sont pas concrets, dit-elle, ce sont plus des associations d'images. Avec la musique qu'on fait, ça marche.» Kim Doré dirige les éditions Poètes de brousse.

François Lafontaine, réalisation

Connu comme claviériste de Karkwa, François Lafontaine est aussi intimement associé aux projets musicaux de sa compagne Marie-Pierre Arthur et aux Douze hommes rapaillés. Il a réalisé les récents disques de Catherine Durand et Elisapie. Émilie Laforest et Joseph Marchand en parlent comme un «moteur important», sinon comme la «locomotive» du projet Forêt.