Partout où fleurit le jazz actuel, on observe un nombre croissant de batteurs d'élite, reconnus par leurs pairs. Parmi ceux-là, peu se démarquent clairement auprès du public mélomane. Brian Blade fait partie de cette minorité infime. Wayne Shorter, Daniel Lanois, Joni Mitchell, David Binney, John McLaughlin, Emmylou Harris, pour ne nommer que ces monuments issus d'horizons variés, l'ont recruté.

Pourquoi donc? Parce que la musicalité  et la polyvalence de Brian Blade sont plus que remarquables, bien au-delà de son formidable jeu de batterie. Une conversation téléphonique nous permettra de comprendre davantage d'où provient la maîtrise de cet artiste au parler doux. Et dont les répliques s'annoncent généreuses et courtoises.

«Il n'y a jamais eu de clôtures autour de mon voisinage musical. La première musique que j'ai jouée fut le gospel, soit dans l'église de mon père - qui exerce encore la fonction de pasteur. Tout petit, j'y chantais. Je l'ai fait jusqu'à 12 ans c'est-à-dire lorsque mon frère aîné a quitté le foyer familial afin de poursuivre ses études à l'extérieur. J'ai dû alors prendre le relais à la batterie.»

Remplacement salutaire, il va sans dire!

Sa polyvalence, il la cultive depuis ses débuts. «Mes parents ont été très gracieux dans mon développement artistique: ils m'ont accordé la liberté d'explorer mes propres goûts musicaux. Ils m'ont fait confiance, ils ont été respectueux. Ni barrières ni restrictions ne m'ont été imposées. Ainsi, aujourd'hui, je peux jouer un soir chez Daniel Lanois et le lendemain chez Wayne Shorter et me sentir inclus dans leur expression.»

Quant à la qualité exceptionnelle de son écoute, il la doit à l'environnement gospel dans lequel il a grandi soit à Shereveport, ville située dans la partie nord-ouest de la Louisiane, et donc voisine du Texas et de l'Arkansas. Il y vit toujours avec sa famille.

«J'y accompagnais des gens qui n'étaient pas des professionnels mais qui se dévouaient totalement aux chants sacrés. Bien sûr, les chefs de choeur étaient musicalement éduqués mais les chanteurs étaient de simples citoyens dont il  me fallait épouser la grâce spirituelle. Je suis heureux de continuer à faire les choses ainsi, qu'il s'agisse de Wayne Shorter, Joni Mitchell ou Bob Dylan.»

Toujours croyant, Brian Blade ? «Absolument. J'ai d'ailleurs un projet dans mes cartons, que je compte réaliser avec mon père: Alleluia Train. Peut-être l'an prochain... Vous savez, nous faisons encore de la musique ensemble, à son église !»

À 17 ans, il s'était inscrit à l'Université Loyola de la Nouvelle-Orléans, où il étudia notamment auprès d'Ellis Marsalis - père de Wynton, Branford, Delfayo et Jason. Au début des années 90, son immense talent fut connu, il fut embauché par le saxophoniste Kenny Garrett. Sa carrière a ensuite pris un envol très rapide lorsque Daniel Lanois et Joni Mitchell firent appel à ses services. Jazzman très sollicité, session man très actif, accompagnateur des plus grands, il connut la consécration ultime au sein du fabuleux quartette que dirige le saxophoniste Wayne Shorter depuis l'an 2000.

Sa réputation lui permit en outre de fonder son propre ensemble et y faire valoir ses compositions: en marche depuis 1997, le Brian Blade Fellowship s'est déjà produit à Montréal. Landmarks, quatrième album de la formation, sera d'ailleurs lancé sous peu. À Montréal, la formation regroupera Chris Thomas (basse), Melvin Bultler (sax ténor), Myron Walden (clarinette basse et sax alto), Jon Cowherd (piano).

«Je connais Jon et Chris depuis la fin des années 80, rappelle leur leader. Ce trio était déjà prêt à jouer mais le projet de groupe n'a pris forme que dix ans plus tard. Il s'agit de mon projet principal, j'en assume la responsabilité, mais je reste totalement dédié au quartette de Wayne, source d'inspiration extraordinaire, ainsi qu'au groupe de mon ami Daniel Lanois. Heureusement, je peux aménager mon horaire afin d'honorer tous mes engagements.»

La direction du Fellowship est collégiale. «Comme je l'ai fait pour un album de chansons (Mama Rosa, dédié à ma grand-mère), je compose à la guitare. Avec le Fellowship, cependant, j'exprime à la batterie ce que j'ai composé précédemment, sans compter les propositions de Jon Cowherd. Le succès de ce groupe est attribuable à la volonté de chacun d'accéder à un tout, et d'ainsi créer une voix commune. L'écoute mutuelle et l'effort collectif sont service d'une musique aussi fondée sur les individualités. Comme le faisait Duke Ellington, j'écris pour chaque membre de mon groupe. Nous pouvons alors voyager ensemble.»

Brian Blade et The Fellowship se produiront à l'Astral, 20 h, le samedi 16 mars prochain, dans le cadre du festival Jazz en rafale, dont le thème cette année est la percussion. Le festival, lui, démarre mercredi.