«Je suis parti de l'abstraction pour finir dans le figuratif», illustre Pierre Lapointe. Quantité de ses chansons s'appuient sur des images poétiques diffuses, désarçonnantes sans être franchement surréalistes. Normal, il est allé à l'école de Bashung et Brigitte Fontaine, des gens qui ne passent pas nécessairement par la tête pour prendre au corps et au coeur.

«Ce que je voulais, au début, c'était de toucher les gens avec des émotions sans qu'ils comprennent. J'ai réussi ça, juge-t-il. Je me suis dit que si je pouvais faire ça avec des images abstraites, le jour où j'allais me décider à être plus terre à terre dans mon écriture, j'allais vous faire brailler, vous scier le cou.» Pas faux.

Nu devant moi est l'une de ces chansons directes et fines. Elle évoque ces moments de solitude qui suivent une rupture où on pense à son ex, à l'intimité perdue et aux plaisirs dénudés qui sont désormais du passé. Nos joies répétitives scrute avec lucidité et délicatesse ce désir de fuite en avant qui prend souvent dans cette vie où, comme le chante Pierre Lapointe, «on a oublié de nous dire comment faire / pour trouver l'amour et lui prouver qu'on peut lui plaire».

Les deux morceaux, gravés l'un après l'autre sur le disque, baignent dans la nostalgie. Mais si Nos joies répétitives s'appuie sur une instrumentation classique (piano et cordes mixés à l'ancienne), Nu devant moi est d'une toute autre facture. Le chant tristounet de Pierre Lapointe est en effet encerclé par des ponctuations de cuivres qui semblent tournoyer comme un manège de fête foraine.

Ces arrangements visent deux choses: éviter d'avoir l'air quétaine ou juste culcul. «Il y a dans la chanson actuelle une volonté d'être clean. La chanson, c'est cute. La liberté que je revendique, c'est aussi façon de dire que la chanson est un mode d'expression comme la danse, le théâtre ou l'art contemporain.»

Un raisonnement semblable a incité le chanteur a aborder la sexualité sans faux-semblant. «De nos jours, on en traite comme si c'était accessoire ou malaisant, de manière très détachée ou carrément pornographique, regrette-t-il. Il ne faut pas oublier que la sexualité, qu'on soit avec quelqu'un qu'on aime beaucoup ou qu'on ne connaît pas, c'est un geste chargé en symbolique et en émotions. Il y a quelque chose de très beau dans cet échange humain-là.»