Gangnam Style n'a pas seulement conquis la sphère virtuelle, mais a aussi laissé des traces nettes dans le compte de banque de son interprète (environ 8 millions, selon The Associated Press), dans les palmarès des ventes et les décomptes des radios commerciales de plusieurs pays. Psy risque maintenant de rejoindre des milliers d'autres artistes dans le grand almanach des one hit wonder. Or, la pop mondiale est à l'aube d'une «invasion asiatique»...

C'est du moins l'avis de Max Hole, directeur des opérations d'Universal Music, géant qui a commercialisé Gangnam Style par l'entremise d'une filiale. «Je ne crois pas que Psy sera un succès ponctuel, a-t-il déclaré récemment au quotidien britannique The Independent. Avant longtemps, on verra un artiste chinois ou japonais se démarquer.»

Psy a eu beaucoup de succès à CKOI à la fin de l'été. Gangnam Style a été 56 fois en tête du 6 à 6 et a tenu huit semaines au sommet du palmarès de la station. Guy Brouillard, son directeur musical, doute néanmoins que ce succès préfigure une tendance lourde. «Un tube dans une autre langue, c'est vraiment occasionnel», dit-il, précisant qu'il croit davantage à l'arrivée de jeunes Nippons ou Chinois qui feront «du Backstreet Boys en anglais».

Mike Gauthier, désormais responsable de l'orientation musicale de MusiquePlus et MusiMax, croit pour sa part que les succès dans différentes langues pourraient devenir plus fréquents grâce à l'internet. Un détail l'incite toutefois à placer Psy dans une catégorie à part. «Il a été "signé" par le gérant de Justin Bieber, rappelle-t-il. C'est à partir de là qu'Universal a ouvert la machine et que l'industrie a tendu l'oreille.»

L'appui d'un géant du disque demeure donc un atout crucial pour conquérir le monde, selon Mike Gauthier. Or, l'industrie de la musique montre justement des signes d'ouverture. Un récent rapport de l'International Federation of Phonographic Industry indique que ses membres investissent de plus en plus hors de l'Europe et de l'Amérique du Nord.

Cet effort financier laisse présager que les marchés émergents occuperont une place grandissante dans la musique populaire planétaire. Universal Music investit en Chine et n'y cherche pas seulement de nouveaux clients: le géant mise sur des artistes qui chantent en mandarin et développe les talents locaux dans l'espoir d'en voir quelques-uns s'illustrer à l'échelle internationale.

L'industrie de la pop coréenne a adopté une logique similaire. Gros joueur au pays de Psy, la boîte S.M. Entertainment s'est inspiré du mode de fabrication des boys bands américains: elle recrute de jeunes artistes qu'elle forme au chant, à la danse et aux langues étrangères dans le but de les vendre à l'étranger dans des idiomes différents selon les marchés.

Girls' Generation, formation composée de neuf jeunes femmes, a d'ailleurs conquis la Corée en coréen, le Japon en japonais et cherche à conquérir l'Occident en anglais. Ce modus operandi a déjà été appliqué à d'autres vedettes coréennes. Et ce n'est pas un hasard si les titres et les refrains de bien des tubes asiatiques se résument à quelques mots en anglais...

La rigueur de cette logique commerciale laisse croire au musicologue Serge Lacasse, de l'Université Laval, que l'industrie K-pop pourrait «faire passer» des artistes en Occident, même en coréen, puisque le chant est souvent traité comme un simple instrument dans ce genre de pop dansante. Il rappelle au passage que la bande sonore du film Cars 2 compte une chanson interprétée en japonais par le groupe Perfume (Polyrhythm), trio féminin désormais lié à la division japonaise d'Universal Music.

«L'engouement actuel pour la K-pop s'appuie sur l'existence de réseaux underground de fans», souligne pour sa part Marc Steinberg, spécialiste de l'animation japonaise à l'Université Concordia, qui a séjourné en Corée au début de décembre. Implantés en Amérique du Nord comme dans le reste du monde, ces réseaux agissent comme des catalyseurs de sous-cultures peu connues en Occident.

Que Psy devienne ou non un one hit wonder, son succès aura un impact, croit M. Steinberg. «Il y a un avant et un après-Psy pour la K-pop», dit-il. Il ne s'attend pas à une invasion de tubes coréens à la radio, mais plutôt à l'émergence occasionnelle de chansons venues de cette partie du monde. Il pense à la chanteuse Hyuna, qui apparaît dans le clip Gangnam Style. «Psy va demeurer dans la mire au Canada et ailleurs, dit-il, et une artiste comme Hyuna va bénéficier de l'attention médiatique suscitée par Psy.»