Le musicien indien Ravi Shankar, soit le plus marquant des musiciens de l'Inde moderne, est mort mardi dans un hôpital de San Diego. Le père de la chanteuse Norah Jones et de la sitariste Anoushka Shankar n'a pu se remettre d'une opération chirurgicale subie jeudi dernier. Sa santé s'était considérablement fragilisée vu son grand âge, c'est-à-dire 92 ans.

Maître incontesté du sitar, Ravi Shankar a exercé une influence cruciale sur de nombreux artistes occidentaux dont les Beatles et Philip Glass. De surcroît, il a contribué à faire évoluer l'idée que l'on se fait de la grande musique. Ambassadeur du classicisme musical indien, il s'est toujours montré ouvert à la modernité et aux métissages entre l'Est et l'Ouest.

«Bien que nous vivions un moment de peine et de tristesse, c'est aussi l'occasion de le remercier et de lui exprimer notre gratitude pour avoir fait partie de nos vies. Il vivra toujours dans nos coeurs et à travers sa musique», a exprimé sa famille par voie de communiqué.

Visant à soulager des problèmes respiratoires et cardiaques, l'opération de jeudi fut réussie mais le vieil homme n'a pu en surmonter le choc.  «Malgré les efforts soutenus des médecins qui prenaient soin de lui, son corps n'a pu combattre les effets de la chirurgie. Nous étions à son chevet lorsqu'il est décédé», ont aussi indiqué son épouse Sukanya et sa fille Anoushka avec qui il a donné son ultime concert, soit le 4 novembre dernier à Long Beach en Californie.

Le Premier ministre de l'Inde, Manmohan Singh, a fait part de sa tristesse et évoqué la perte d'«un trésor national et d'un ambassadeur mondial de l'héritage culturel de l'Inde». «Une ère disparaît avec Ravi Shankar. La nation se joint à moi pour rendre hommage à son insurpassable génie, son art et son humilité», a ajouté le Premier ministre.

Issu de la plus haute caste

Le 7 avril 1920, Ravi Shankar est né dans la ville sacrée de Varanasi, anciennement nommée Bénarès, au bord du Gange. Il était issu d'une famille de brahmanes, soit la plus haute caste dans la société hindoue. Il passa les premières années de vie en Inde jusqu'à ce que son frère lui donne la chance de tourner en Europe dans une troupe de danse et de musique classique. À la fin des années 30, le  musicien délaissa le divertissement pour se concentrer sur la maîtrise du sitar et de la musique classique indienne. On sait que cet instrument à cordes est un fondement du khyal, soit l'école hindoustanie qui prévaut au nord de l'Inde.

Rappelons également que la première épouse de Ravi Shankar fut Anapurna Devi, soit la fille de son maître Alauddin Khan, devenue elle-même une virtuose du sarod (autre instrument à cordes) parce que son père avait consenti à la former - ce qui était vraiment avant-gardiste à l'époque. On imagine que cette ouverture d'esprit a été transmise au jeune Ravi comme ce dernier l'a transmise aux générations ultérieures de musiciens.

Prenons le cas du trentenaire Niladri Kumar, virtuose du sitar, rencontré à Bombay en avril dernier.

«J'ai appris de mon père Kartick Kumar, qui fut un disciple de Pandit Ravi Shankar. Ce dernier joue encore très bien et peut compter sur une mémoire phénoménale! Je puis en témoigner.» Inutile d'ajouter que Niladri Kumar a poursuivi sur les traces de son père et de Ravi Shankar, c'est-à-dire se produire dans un contexte classique tout en s'ouvrant aux fusions entre musique classique indienne et musique moderne.

Interviewé par La Presse en 2003, Ravi Shankar réitérait cette ouverture. «Il n'y a pas de problème avec la fusion, en autant que chacun respecte les bases d'une tradition. Et, vous savez, il n'est pas non plus absolument nécessaire d'être un virtuose pour procéder à des fusions. Il y a de la place pour toutes les expériences. »

Professeur de George Harrison

Non virtuose notoire, feu George Harrison était devenu son élève dans les années 1960, ce qui l'incita à introduire le sitar dans les chansons Norwegian Wood (1965) et Within You, Without You (1967). Le musicien des Beatles et le sitariste indien ont ensuite multiplié les collaborations, notamment lors d'un concert pour venir en aide aux victimes de la famine au Bangladesh en 1971.

Avec raison, George Harrison avait surnommé Ravi Shankar «le parrain de la musique world». Résidant aux États-Unis, il y avait remporté trois trophées Grammy. Il avait aussi participé aux désormais mythiques festivals de Woodstock et Monterey. Il était de nouveau mis en nomination aux Grammys pour son récent album The Living Room Sessions, Part 1.

Bien au-delà de la pop culture, Shankar s'intéressait aux fusions entre musiques dites classiques d'Orient et d'Occident. En ce sens, il avait oeuvré au projet West Meets East avec le violoniste Yehudi Menuhin. Il a aussi collaboré avec le compositeur Philip Glass, soit pour l'album Passages, paru en 1990. Il a composé des concertos pour sitar et orchestre, joué avec plusieurs grands ensembles dont le London Symphony Orchestra et le New York Philharmonic. Il a composé la musique de la bande originale du film Gandhi en 1982, composé pour de multiples productions théâtrales. Il a écrit plusieurs ouvrages et ouvert une école de musique à New Delhi.

Non seulement fut-il un musicien crucial de la société indienne moderne, mais encore le fut-il pour l'humanité entière.

Avec Reuters et AFP