Parmi les 11 398 spectateurs présents au Centre Bell pour le concert Neil Young et Crazy Horse, on imagine que certains ont déploré la rugosité acquise du monument. D'autres auront applaudi la vivacité du vieux scorpion, qui défend son nouveau matériel et sa façon de faire sans compromis aucun. Qui ne regarde pas derrière, à moins de conjuguer son glorieux passé au... présent.

Plus de deux heures sur scène et... 13 chansons ! Comment expliquer ce petit nombre pour une si longue prestation ? La réponse se trouve dans Psychedelic Pill, récent album de 87 minutes et 41 secondes où l'homme de 67 ans reprend du service avec Crazy Horse, son fidèle garage band (étable band?) et dont il offre des chansons émaillées de longs grooves, ambitieuses impros recouvertes de distorsion, réverbération, crépitements, déflagrations. Vendredi soir, chansons neuves et vieilles étaient ainsi déclinées sauf exceptions.

D'entrée de jeu, notre adolescent attardé avait prévu une petite mise en scène digne d'un sketch d'école secondaire : au son des Beatles, des mecs en sarrau aménageaient les décors, on pouvait contempler quatre gigantesques amplis de marque Fender (placement de produit, on l'imagine) sur lesquels on projetterait ensuite des formes lumineuses. Un immense drapeau canadien fut ensuite déployé, hymne national à l'appui, ce qui n'a pas tout à fait déclenché cette ferveur unanime qu'on imagine dans les autres escales du vieux routier dans son pays d'origine.

On a tôt fait d'oublier ces considérations lorsque Crazy Horse entre en scène. On aperçoit alors une chemise à carreaux et un t-shirt sous lesquels se trouve un des plus respectables auteurs, compositeurs, interprètes et musiciens de l'univers connu. Armé de sa symbiotique Les Paul, Neil Young a tôt fait d'afficher la grande forme guitaristique et vocale, prêt à mater les plus récalcitrants.

Love and Only Love, première au menu, présente des sons costauds, les harmonies y sont virilement exprimées, nous sommes en selle pour une longue chevauchée. Powderfinger, la deuxième, présentera un dialogue à deux guitares, entre le maître et son valeureux riffer Frank «Poncho» Sampedro derrière lesquels s'esbaudit la section rythmique formée du batteur Ralph Molina et du bassiste Billy Talbot. Un magma de fréquences acidulées recouvre ce folk rock, aperçu probant de ce qui s'ensuivra.

« Merci thank you for being here» et Neil Young entonne Born In Ontario, de facture country folk mais salement jouée et sertie de généreuses impros. Les choses commencent à se corser sérieusement avec Wall Like A Giant. Les sifflotements prévus dans le thème et les magnifiques ornements mélodiques du pont font contraste avec certains accords presque métal, servis à la fin de certaines phrases. La chanson fleuve se conclut par un séisme bruitiste de haute magnitude,  nous avons ici la preuve tonitruante que Neil Young n'a rien d'un gestionnaire de patrimoine.

Succède à ces secousses majeures la projection d'un orage, tonnerre et pluie de cordes dans les yeux et les oreilles. Pour calmer les esprits, Neil Young nous injecte The Needle and the Damage Done,  rendue publique en 1972 et inspirée par l'addiction fatale du guitariste Dannny Whitten (membre fondateur de Crazy Horse). La ballade folk est jouée en mode soliloque, idem pour Twisted Road. Notre hôte se met ensuite au piano droit et chante Singer Without A Song, avec un accompagnement discret de l'ami Poncho à la guitare acoustique et... le passage d'une figurante incarnant le personnage de la chanson. Allo? Y a-t-il un metteur en scène dans la salle?

Reprise des hostilités avec Ramada Inn, histoire touchante d'un vieux couple toujours amoureux qui fait escale dans une chambre d'hôtel. Country folk irrésistiblement crotté avec un chorus d'enfer. Pour le plus grand plaisir des fans de la première ligne, le musicien offre Cinnamon Girl, coiffée d'une finale tout simplement magistrale. Ça chauffe encore avec Fuckin'Up, southern rock hyper garage (créé en 1990), avec en prime une allusion improvisée à Montréal dans le texte. Pendant qu'on balance   Mr. Soul (époque Buffalo Springfield), on a droit à des projections psychédéliques ballons multicolores sur les amplis.

L'apothéose est atteinte avec Hey Hey, My My (Into the Black) qui scande l'impossible mort du rock. Garage éternité! Seul rappel au programme? Roll Another Number, avec des fleurs très sixties projetées sur les décors.

Avant cette paire d'heures, somme toute exemplaires, la grande Patti Smith aura servi au public multi-générationnel une quarantaine de minutes bien tassées de sa médecine, sans toutefois l'usage des écrans géants prévus pour le programme principal... ce qui est déplorable. Qui qu'il en soit, les rimes, mélodies, thèmes et reprises de la poétesse rock étaient d'une remarquable pertinence - Fuji San, Ghost Dance, Because the Night et autres Gloria (Van Morrison).

Comme quoi la curiosité, l'ouverture d'esprit et la ferveur n'ont pas d'âge.