Il y a longtemps que Francis Cabrel voulait adapter Bob Dylan en français. Il aura fallu une panne d'inspiration pour qu'il plonge enfin dans l'oeuvre de son idole et en ressorte avec 11 chansons. Ce n'est peut-être qu'un début.

«C'est par ça que tout a commencé pour moi», lance Francis Cabrel au téléphone. «Ça», c'est l'album de chansons de Dylan que Hugues Aufray a adaptées en français avec l'as parolier Pierre Delanoë au milieu des années 60.

Cabrel raconte: «J'ai vu un jour dans mon village la pochette d'un album sur lequel il y avait de marqué Aufray chante Dylan. Je connaissais beaucoup Hugues Aufray qui était un des chanteurs les plus populaires de ces années-là, mais qui c'était ce Dylan pour qu'il lui consacre un album entier? Alors j'ai acheté le disque, j'ai beaucoup aimé les chansons et je pense que c'est un peu ce que j'ai voulu faire 40 ans plus tard: un hommage à Dylan comme Aufray avait fait dans les années 60.»

En 2012, évidemment, Cabrel n'est pas en mission éducative: Dylan n'a plus besoin de présentation, même en France. «Effectivement, mon ambition n'est pas de faire connaître Dylan, ça serait manquer d'humilité. Je voulais juste dire aux gens qui m'aiment voilà d'où je viens, voilà la personne que j'écoute le plus, voilà pourquoi j'écris des chansons. Je l'en remercie. J'ai passé six ou huit mois de ma vie à traduire et à adapter, je lui devais bien ça.»

L'homme d'Astaffort écrivait des chansons pour son prochain album quand l'inspiration lui a fait défaut. Il en a donc profité pour s'attaquer à Dylan, un projet qu'il caressait depuis de nombreuses années. «Le prétexte est un peu léger parce que des pannes d'inspiration, j'en ai tous les 15 jours, précise Cabrel. Disons que le premier prétexte a été le bon.»

Adapter Dylan, c'est un peu intimidant, reconnaît-il: «Je voulais rester le plus fidèle possible aux écritures d'origine, ne pas m'éloigner ni des thèmes ni des images fortes. Et je savais qu'avec beaucoup de rigueur et de soin, on pouvait arriver à faire swinger la langue française. Ç'a toujours été mon cheval de bataille. Grâce à la leçon de Dylan que j'ai comprise dès l'instant où je l'ai entendue, je sais qu'on peut faire sonner n'importe quelle langue sur la planète.»

Comme du Cabrel

Cabrel prend plus de libertés dans ses musiques. Vise le ciel sonne comme un album de Cabrel et une chanson comme Du haut de la tour de guet (All Along the Watchtower, immortalisée par Dylan et Hendrix) est quasi méconnaissable. «J'ai fait comme si c'était un de mes albums et j'ai traité les chansons de Bob Dylan comme les miennes, avec les mêmes musiciens, les mêmes orientations. Je me sers de ce que Dylan montre sur scène: il transforme tous les jours ses chansons, il aime bien que ça soit un peu tout broyé, tout reconstruit. C'est vrai qu'il fallait éviter la version de Hendrix qui est devenue un hymne planétaire. La version d'origine de Dylan est extrêmement simple, il y a une petite mélodie, mais il l'a tellement chantée de façons différentes que moi, je me suis jeté aussi sur un autre petit chemin à côté.»

Cabrel explique qu'il a choisi des chansons qui parlent à tout le monde (I Want You, Just Like a Woman...). Parce qu'il connaît Dylan sur le bout des doigts, il a aussi voulu faire découvrir des chansons tirées d'albums plus sombres, plus blues: «Je ne voulais pas faire 11 hits à la queue leu leu...»

Il n'a pas de préférée parmi les 11 chansons de Vise le ciel, mais certaines lui ont donné plus de mal, comme Un simple coup du sort (A Simple Twist of Fate) à laquelle il a consacré beaucoup de temps. Il a également essayé d'adapter la chanson-fleuve Desolation Row, mais a «coulé» au troisième couplet. «J'en aime encore une quarantaine d'autres qui pourraient figurer sur les volumes 2 et 3 peut-être», dit-il le plus sérieusement du monde.

Mais il y a d'abord cet album de chansons bien à lui qui est déjà à moitié écrit et, peut-être, un autre disque dans lequel il s'attaquera au répertoire de Leonard Cohen cette fois. «Mais alors là, la traduction est encore plus compliquée parce que, de temps en temps, il est extrêmement cru, et de temps en temps il est d'une poésie extrêmement moderne. Il y a déjà deux ou trois pistes que je suis...»

À sa deuxième semaine en magasin, Vise le ciel trônait toujours au sommet du palmarès en France, mais c'était avant la parution du nouvel album de Céline Dion. Justement, Cabrel devait participer à l'émission spéciale de Céline Dion sur TVA dimanche dernier et y chanter Quand j'aime une fois, j'aime pour toujours avec Céline et Richard Desjardins.

«La première fois qu'on m'a fait la proposition au mois d'août, j'ai dit oui, mais ils ont changé les dates et ça tombait sur toute ma promotion française pour mon album», dit-il pour expliquer son absence.

Cabrel a déjà interprété, seul et en duo avec Alain Souchon, cette chanson de Desjardins qu'il considère comme un des auteurs francophones qui s'approchent le plus de Dylan. «Ça allait être un trio assez original, dit-il. S'il y a une prochaine fois, j'irai avec plaisir.»

Trois coups de chapeau à Dylan

HUGUES AUFRAY - AUFRAY CHANTE DYLAN - 1965

Ou comment un chanteur populaire a fait apprécier Dylan aux Français avec l'aide de l'excellent parolier Pierre Delanoë.

BRYAN FERRY - DYLANESQUE - 2007

Le dandy britannique s'approprie complètement les chansons de l'idole américaine et signe son meilleur disque des années 2000.

BEN SIDRAN - DYLAN DIFFERENT - 2009

Dylan à la façon jazz. Original et très amusant.