Maxime Morin, mieux connu comme DJ Champion, n'a pas oublié le premier coup de fil qu'il a reçu de l'OSM: «On m'a dit "L'OSM veut travailler avec toi."Wow! Puis on m'a parlé de marches militaires... Oh my God...»

Autour de lui, dans les bureaux de l'OSM, Kent Nagano et trois employées de l'orchestre pouffent de rire. Ça crève les yeux, le maestro apprécie l'inventivité, le dynamisme, la spontanéité et l'humour du DJ montréalais.

Bien avant d'entamer son premier mandat à Montréal, Nagano avait demandé à son équipe de lui parler des personnages marquants de l'histoire d'ici et des forces vives de notre culture. Le nom de DJ Champion avait été mentionné. «En 2004, les DJ étaient vraiment en train d'émerger aux États-Unis, rappelle le maestro... J'ai fait une recherche sur DJ Champion et par la suite j'ai cherché un moyen de faire quelque chose ensemble.»

Le maestro se lance dans une longue parenthèse sur le thème du bruit qui, dans un contexte différent, devient musique. Il évoque Edgar Varèse, John Cage, Robert Ashley, George Antheil et souligne que le scratching peut être très esthétique. «Je voulais savoir s'il existait un terrain mitoyen sans que ça soit un crossover

«Pardon, un crossover?», l'interrompt son nouvel ami DJ dès que le vilain mot est lâché. Le maestro donne l'exemple d'une pop star à qui on demanderait d'écrire une symphonie - un ex-Beatle peut-être? - ou d'un musicien de formation classique qui se mettrait à faire de la pop. «Je n'ai aucun talent pour ça, précise-t-il. Ce qui m'intéresse d'abord, c'est d'enrichir le monde classique en étant ouvert et en absorbant d'autres influences, mais en restant dans l'esthétique de la musique classique plutôt que de s'essayer dans un domaine où d'autres gens font très bien. Il n'y a qu'une Bessie Smith au monde, et qu'un Chick Corea. Ce que j'admire de DJ Champion, c'est qu'il n'a pas voulu faire de compromis. On a donc une véritable chance d'arriver avec une forme différente, avec quelque chose qu'on n'a pas entendu.»

Le DJ est d'accord: «Le crossover, ce n'est pas intéressant, mais alors pas du tout si ce n'est pas totalement incarné. Et à ce moment-là, ça ne s'appelle plus un crossover», lance-t-il avec assurance.

Le blocage

Le maestro cherchait donc le «bon véhicule» pour permettre à la créativité du DJ de s'épanouir dans l'univers classique. L'occasion s'est présentée au moment où il ne s'y attendait pas. Il s'était mis en tête de faire redécouvrir dans trois programmes différents la musique de Haydn dans le contexte du XXIe siècle, en exploitant l'acoustique de la Maison symphonique. Pour ce programme spécifique, il avait choisi la Symphonie no 100, dite «Militaire».

«J'ai voulu explorer la signification de la marche militaire, mais aussi de la marche nuptiale, la marche solennelle comme Pomp and Circumstance d'Elgar, ou la marche festive de John Philip Sousa. Ce programme avait déjà deux piliers: la symphonie de Haydn et le Concerto «Empereur» de Beethoven, mais que faire entre les deux? J'ai d'abord eu l'idée de jouer plusieurs marches, mais quand j'ai vu ça sur papier, je me suis dit que ça serait assommant: quatre marches d'environ quatre minutes chacune, avec le même tempo... J'étais bloqué. Puis j'ai pensé à DJ Champion qui peut interpréter des marches, les déconstruire puis les reconstruire. Je lui ai donné un cadre, une philosophie, lui ai expliqué le rôle de l'oeuvre et lui ai dit que j'avais besoin de sa créativité. Mais je ne savais pas s'il accepterait de se lancer dans cette aventure à la fois folle et sophistiquée.»

Le DJ avait d'autres priorités: rester en santé - il a combattu un cancer en 2010 - et se consacrer à son prochain album. Mais après avoir «branlé dans le manche», il a plongé et a fait connaissance avec le maestro au début de l'année.

Il a reçu de l'OSM une première sélection de marches militaires dans laquelle il a fait un tri. «Dans mon travail, j'essaie tout le temps de trouver un lien entre deux pièces qui puissent être côte à côte. Fallait trouver des pièces qui ont vraiment un rapport l'une à l'autre. Il ne s'agisssait pas juste de mettre des drums électroniques et de dire voici, c'est un remix, mais plutôt d'entrer dans la composition, d'aller chercher des éléments qui s'imbriquent l'un dans l'autre et forment un tout cohérent qui ne soit pas un crossover justement.»

Il donne deux exemples: la fin de la Marche du soldat de Stravinski qu'il a réduite à deux notes sur lesquelles se superposent les clarinettes de Roméo et Juliette de Prokofiev. Et la pièce The Bells, de William Byrd, qu'il a ralentie pour faire un fondu enchaîné avec le Stravinski: «Ça marche! Du beau travail de DJing.»

Le DJ a fait des maquettes de cette oeuvre de 20 minutes qu'il a composée avec Maxime McKinley (voir autre texte). «J'ai surtout lu la partition, dit le maestro pendant que le DJ pouffe de rire. Et euh... je suis étonné dans le sens positif du terme. On a plus que quatre marches, on a une perspective sur le concept des marches et beaucoup plus encore: c'est vraiment une oeuvre.»

Entouré des musiciens de l'OSM, le DJ fera un scratching très rudimentaire. «On avait demandé à Kid Koala, mais comme ce n'était pas possible, j'ai décidé de le faire, explique-t-il. C'est plus important de proposer de la musique que de proposer un grand soliste. Et l'oeuvre est déjà assez chargée que ça aurait été une erreur de brouiller les cartes avec un super solo de scratch. Tandis que là, ça va être sobre, ça va donner la couleur. C'est le fun.»

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L'OSM éclaté

Deux concerts sur le thème des marches étaient déjà au calendrier de la saison de l'OSM, les 14 et 15 novembre, quand on a annoncé récemment que l'oeuvre de DJ Champion et Maxime McKinley sera jouée pour la toute première fois le 5 octobre, dans le cadre d'un tout autre programme baptisé OSM éclaté. Il a été question de tenir cette soirée dans un bâtiment industriel, à la suite de l'expérience concluante de 2010 dans l'entrepôt de la brasserie Molson, mais c'est finalement à la Maison symphonique qu'elle aura lieu, mais à une heure inhabituelle: 21h30.

Kent Nagano et son orchestre vont jouer Le sacre du printemps de Stravinski, dont on fête le centenaire, puis l'oeuvre de DJ Champion et Maxime McKinley. Par la suite, les spectateurs seront invités à passer au foyer pour se dégourdir les jambes au son des musiques du DJ montréalais Akufen, alias Marc Leclair.

«Ce sera très intéressant d'entendre l'oeuvre de Champion et McKinley dans un autre contexte, dit Kent Nagano. Le thème de cette soirée, c'est la danse: Le sacre du printemps était un ballet à l'origine. Puis la soirée va se poursuivre avec du vrai dancing et un DJ. On va faire l'expérience du mouvement corporel dans la nuit.»

Le concept sourit à DJ Champion: «À mon humble avis, notre oeuvre va mieux avec le Stravinski.»

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Les deux Maxime

L'oeuvre commandée par l'OSM à Maxime Morin (DJ Champion) et Maxime McKinley porte un nom créole: Bondye konn bay men li pa konn separe (Dieu s'est donné mais ne s'est pas partagé). Quand le neveu de sa blonde lui a lancé cette phrase au restaurant, Maxime Morin a immédiatement su qu'il tenait son titre.

«À cause du thème des marches militaires, je pensais à un titre comme Les dieux de la guerre. Ou encore à Judas parce que nous sommes un peu des Judas aux yeux des puristes, Maxime et moi. Dieu s'est donné mais ne s'est pas partagé, c'est un peu la difficulté dans laquelle on se trouvait: on aurait pu partir en guerre tous les deux. Si j'avais à faire une allocution avant le show, je dirais au public "À vous de juger si on a fait la guerre ou la paix, l'oeuvre vous appartient maintenant, faites-en ce que vous voulez". Et puis le créole est tout indiqué parce que c'est une perversion du français comme ce qu'on a fait est une perversion de la musique classique contemporaine.»

Le DJ poursuit: «Nous sortons tous les deux de nos planètes habituelles. Certains peuvent voir ça comme une forme de trahison et d'affaiblissement de nos univers respectifs, mais ce n'est pas de la techno diluée dans du classique ou du classique contemporain dilué dans de la techno. C'est un truc différent de ce que je fais d'habitude et je n'y serais jamais arrivé sans Maxime.»

Joint au téléphone, Maxime McKinley acquiesce: «La différence est un des moteurs de tout le projet. On m'a demandé précisément de faire un travail plus technique d'orchestration et de réalisation de la partition, mais aussi de m'impliquer créativement. On voulait sentir la couleur de ce que je fais habituellement en musique contemporaine. Il y a des parties où j'ai composé ou réécrit des choses. J'ai respecté l'essentiel mais en mettant ce que Champion appelle la sauce Bar-B-Q. C'est vraiment une collaboration, une pièce écrite à quatre mains. Ce parcours-là a été fascinant. Nous sommes tous les deux aventureux et ouverts d'esprit.»

Il voit leur oeuvre commune comme une suite de tableaux qui suit la logique des spectacles de DJ Champion. «Il ne donne pas le bonbon, c'est-à-dire le beat, tout de suite. Il fait languir un peu l'auditeur. Il y a beaucoup de choses dans ces 20 minutes: on part de quelque chose de plus flou, de plus abstrait, donc de plus proche de la musique contemporaine, et graduellement on s'en va vers le dancefloor, les drum machines et ce genre de choses.»

Maxime McKinley a fait son conservatoire en guitare classique avant de se consacrer à la composition. Il dirige présentement la série de concerts de musique contemporaine de La Chapelle historique du Bon Pasteur et a quelques commandes en cours d'écriture dont un duo pour les violonistes Andrew Wan, de l'OSM, et Jonathan Crow qui sera créé en avril 2013.

«C'est sûr qu'un projet avec DJ Champion, c'est toute une remorque, convient-il. Il y a des trucs auxquels je ne suis pas habitué comme l'attention médiatique. Mais je suis tout à fait ouvert à d'autres collaborations du même type, surtout dans un esprit comme ça où les différences sont vraiment respectées.»

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OSM ÉCLATÉ

Le 5 octobre à 21h30

Le sacre du printemps de Stravinski

Bondye konn bay men li pa konn separe de DJ Champion et Maxime McKinley

Danse dans les foyers de Maison symphonique avec le DJ Akufen aux tables tournantes

MARCHE MILITAIRE: CLASSIQUE OU ÉLECTRO?

Les 14 et 15 novembre à 20h

Symphonie no. 100, «Militaire»,

de Haydn

Bondye konn bay men li pa konn separe de DJ Champion et Maxime McKinley

Concerto pour piano no 5, «Empereur» de Beethoven, avec le pianiste Yefim Bronfman