Connu sous le pseudonyme Squarepusher, l'Anglais Tom Jenkinson est ni plus ni moins l'un des grands noms de la musique électronique, c'est-à-dire depuis son émergence sur la scène internationale au cours des années 90. Bassiste, guitariste, percussionniste, informaticien, bidouilleur tous azimuts, cet artiste vedette de la prestigieuse étiquette Warp évolue dans une sorte d'autarcie créatrice depuis qu'il fut aspiré par la nébuleuse musicale.

Trajectoire qu'il explique à La Presse dans une interview exclusive avant son passage à cette soirée de samedi au Piknic Electronik.

Cette indépendance d'esprit, souligne d'entrée le musicien de 37 ans, remonte à l'enfance:

«Dès lors, j'étais absorbé par la musique que j'entendais à la radio, au point de l'enregistrer de manière rudimentaire et d'en prolonger les formes avec des instruments de fortune. Après quoi j'ai commencé à jouer de la guitare, c'est-à-dire vers l'âge de dix ans. Je me suis enregistré aussitôt pour ensuite m'initier à la musique électronique - en me procurant mes premiers instruments, à commencer par le synthétiseur analogique SH-101 de Roland.

«Simultanément, je continuais à jouer la guitare et la basse que je connectais à différentes pédales d'effets. Ainsi, j'accumulais instruments et machines, je m'initiais à la programmation informatique, j'essayais de comprendre et maîtriser. Lorsque mes premiers enregistrements ont été rendus publics, j'avais déjà accumulé une certaine expérience.»

Cette expérience a toujours exclu l'éducation institutionnelle: tout ce que joue Squarepusher, il l'a appris seul.

«Je suis radicalement inapte aux modes d'apprentissage de la musique, enfin ceux que l'on m'imposait à l'école. La musique fut au départ un hobby, ce type d'apprentissage s'opposait au plaisir d'une expérience déjà en cours. Cela m'a donc conduit à éviter toute éducation musicale qui pourrait polluer ce plaisir. Bien sûr, cette façon de faire laisse de grands trous dans ma connaissance, et je n'en suis pas particulièrement fier. Cas classique de l'apprentissage autodidacte...»

Associé au drum'n'bass lorsque sa carrière a décollé, Squarepusher débordait déjà ce cadre: au fil de la quinzaine d'albums créés depuis 1996, la techno, les musiques électroacoustiques, le jazz, l'acid-jazz, le rock progressif, le métal et autres genres ont tapissé un univers des plus éclectiques. Encore une fois, cette diversité musicale fut préconisée à la source de sa passion:

«Ma première expérience de musique était surtout la radio dont je ne connaissais pas le nom des artistes diffusés, ou bien les quelques albums qui traînaient à la maison. Il n'y avait pas de notion du bon ou du mauvais, il n'y avait juste qu'un mur de musique, dans lequel je pouvais piger et finalement choisir ce qui me plaisait. L'idée des styles et de la qualité m'est apparue beaucoup plus tard. Donc il n'y avait aucune stratification ou hiérarchisation sur la musique. Ma relation était instinctive et cette relation est de même nature dans ma musique d'aujourd'hui. Je ne sais pas exactement ce que je fais aujourd'hui, dans quel genre...

«Cela peut sembler éparpillé, convient-il néanmoins. Dans un seul de mes albums, on peut retrouver plusieurs styles de musique parce que je ne travaille que sur la base de mon enthousiasme, de mon plaisir et de mes goûts personnels. Si j'ai une idée de composition, je me laisse aspirer par cette idée et je me rends où cette idée doit me mener.»

Redoutable technicien de la basse électrique, guitariste aguerri, Squarepusher se considère d'abord comme un compositeur.

«Je peux faire des albums qui excluent totalement la virtuosité... ou même l'interprétation. Si la musique instrumentale ne correspond pas à l'idée créatrice, je ne forcerai pas l'insertion d'un instrument afin d'y exhiber mes capacités techniques. Plusieurs de mes compositions, d'ailleurs, n'impliquent aucun jeu, c'est le cas de mon dernier album, Ufabulum. Si toutefois un solo est impliqué dans ma musique, c'est parce que la pièce le requiert; ce solo doit être au service de la composition.»

Doit-on alors lui rétorquer que l'intérêt qu'il suscite réside aussi dans sa capacité à jouer des instruments et d'injecter ce jeu dans un contexte électro. Lorsque, d'ailleurs, on lui apprend que plusieurs renommés jazzmen de la période actuelle apprécient sa musique (Aaron Parks, Ravi Coltrane, Ambrose Akinmusire, David Binney, etc.), il s'en étonne et s'en réjouit. Quant aux monstres de technique...

«Les virtuoses de la musique instrumentale qui m'abordent parfois sont généralement intéressés aux albums où je joue de la basse très très vite. Moi aussi, remarquez, il m'arrive d'admirer ces instrumentistes aguerris qui misent tout sur le jeu. Je crois en ce sens que l'intérêt des meilleurs joueurs se fonde sur autre chose que la composition. Je les envie d'une certaine façon mais il y a le danger de devenir une bête de cirque et n'attirer que des amateurs de technique, ce qui n'est vraiment pas mon affaire. Mon affaire consiste à trouver une certaine profondeur dans la composition.»

L'approche compositionnel de Squarepusher, il faut dire est très évocateur de l'univers technologique. On lui passe la remarque, il opine du bonnet:

«Les ordinateurs et les boîtes à rythmes ont été les premiers outils avec lesquels j'ai créé de la musique. De plus, j'ai été friand de jeux vidéo. Et puisque je suis une véritable éponge, ça a sûrement pénétré quelque part dans mon inconscient. Les sons émanant des jeux d'ordinateurs et les vieux outils de musique électronique portent une sorte de brutalité mécanique, industrielle, froide, ces sons sont dénués de sensibilité. Si cela peut être repoussant pour plusieurs, ça ne l'est pas pour moi. Vous savez, tout ça n'existerait pas s'il n'y avait pas d'humains à la source. Les traces humaines sont lointaines mais elles existent à travers ces sons.»

Que les fans de Squarepusher se rassurent, le spectacle solo prévu samedi à Montréal réunira les composantes fondamentales de son art. Il explique le programme:

«Je proposerai d'abord une performance audiovisuelle inspirée du nouvel album. Pour ce, j'ai développé un complément visuel; en développement depuis 2005, un logiciel de mon cru balance des images en temps réel. Mais je tiens à souligner ne pas produire des images afin de cacher mes carences de compositeur - comme on l'observe trop souvent dans les arts médiatiques. Il s'agit plutôt d'un exercice complémentaire à  la musique, l'objet principal de mon expression. En fait, j'essaie simplement d'y représenter les images qui me viennent à l'esprit  lorsque je crée la musique. J'essaie d'offrir la meilleure cohérence possible en ce sens. Pour seconde moitié du spectacle,  je compte offrir des improvisations où la basse sera le déclencheur de la musique.»

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Dans le cadre de la série Piknic 10 et des événements Osheaga, présenté par Piknic Electronik et Evenko, Squarepusher se produit ce samedi soir à la Place de l'Homme (Calder) du Parc Jean-Drapeau: se suivront DJ Kobal (18h), Ikonika (19h45) et Squarepusher (21h45).