Sur les deux écrans de la place des Festivals, un enfant cravaté chante de sa voix de canneton dans un Complexe Desjardins désert. C'est Rufus Wainwright, l'artiste précoce, dans le Conte pour tous Les aventuriers du timbre perdu tourné quelque part dans la préhistoire.

L'instant d'après, dans la pénombre, la voix du Rufus adulte émerge de la grande scène, sans autre appui que les ou-ou de ses choristes. C'est Candles, l'émouvante élégie funèbre pour sa mère Kate McGarrigle, fière ambassadrice montréalaise dans l'univers du folk et de la chanson de qualité.

Puis la scène s'éclaire et on découvre, sous une demi-douzaine de lustres, Rufus tout de rouge vêtu, chandail à paillettes et verres fumés compris. Une tenue de star flamboyante qui se veut dira Rufus un défi à Liza Minnelli, autre invitée du festival, en même temps qu'un merci aux étudiants avec qui il sympathise... et qui ne perturberont pas sa fête.

Du Rufus tout craché, capable d'autodérision, mais très conscient de sa valeur comme en témoignent les huit chansons de son nouvel album au programme. En plus de la chanson jazzée de circonstances, The Man That Got Away, empruntée à Judy Garland. On ne pourra pas l'accuser d'avoir joué de prudence!

Mais c'était surtout une fête de famille et, par extension, la fête de Montréal qui renouait de la plus spectaculaire des façons avec l'un de ses enfants surdoués. Quand les tantes Anna et Jane, la soeur Martha, les cousins Lily et Sylvan et le violoniste Joel Zifkin, un autre membre du clan, se sont amenés rejoindre Rufus, on a eu droit à la version la plus belle qu'il m'ait été donné d'entendre de la chanson des McGarrigle Entre Lajeunesse et la sagesse. Et que dire de Je reviendrai à Montréal de Charlebois chantée magnifiquement par Rufus et Martha, sinon que ce fut un grand moment d'émotion. Comme le fut la Complainte pour Sainte-Catherine chantée en famille ainsi que l'Excursion à Venise de la tante Jane que Rufus a chantée seul pour la toute première fois.

Ce fut ce genre de soirée, unique, impossible à reproduire, dont se souviendront longtemps ceux qui en ont été témoins. Ce n'était pas une fête où l'on danse jusqu'à s'étourdir, mais je n'avais encore jamais vu une mer de monde sur la place des Festivals captivée au point de garder le silence depuis la Candles a cappella jusqu'à Montauk que le chanteur a dédié à sa fille Katherine Viva Wainwright Cohen.

«C'est pas mal Montréal ça» a dit le papa du nom de sa fille. Pas mal Montréal en effet, comme l'Hallelujah de Cohen que Rufus a chantée seul au piano en guise de rappel. Pas mal Montréal comme l'ensemble de ce mémorable spectacle.