Musicienne solitaire sous la bannière Grouper, l'Américaine Liz Harris a potassé une musique remarquable, particulièrement en 2008 lorsqu'elle a lancé l'album Dragging A Dead Deer Up A Hill, sorte de shoegaze au ralenti qu'on peut qualifier ni de drone, ni de post-folk, ni bruitiste ni ambient. Un peut tout ça, en fait. Sept albums et quatre maxis ont été créés depuis 2005, dont le tout récent Violet Replacement. Vous aurez saisi que son passage sera remarqué aux Suoni Per Il Popolo,ce lundi à la Sala Rossa.

Liz Harris travaille généralement seule, se présente généralement seule sur scène. Comment ressent-elle cette solitude dans le processus créatif ?

«Travailler seule m'est actuellement plus confortable, rassurant. Ce qui ne signifie pas que je travaille exclusivement en solitaire. Pour moi, c'est souffrant d'une manière ou d'une autre ! Récemment, d'ailleurs, je me suis retrouvée dans des situations absurdes, presque stupides. Par exemple, j'ai écrit des chansons sur la tristesse d'être seule depuis longtemps, tout en réalisant que l'acte d'écrire, d'enregistrer ou de jouer me maintenait dans cet état.»

Paradoxe, donc : Liz Harris se sent plus isolée dans un rôle qui lui plaît.

«La musique et l'art sont les seuls compagnons que j'ai eus depuis un bon moment, les seuls langages où je suis à l'aise. Alors, je me présente quotidiennement dans le monde de la musique. J'y imagine des sons évoquant le malaise et le non-sens. Plus je reçois d'attention pour mon personnage solitaire, plus il me devient impossible de développer des relations authentiques avec les gens.

«Autre inconfort : j'ai pensé cette musique comme étant une médecine et une nourriture pour quiconque éprouve de la souffrance. Or, j'ai commencé à me sentir tellement stressée à présenter cette musique sur scène, à respecter les heures de tombée, à faire de la tournée, que mon corps en est devenu malade. Paradoxe supplémentaire : pendant que j'ai créé la musique pour Circular Veil, une musique faite pour apaiser les gens ou même les plonger dans le sommeil, j'ai vécu la pire insomnie de mon existence!»

Ainsi, on comprendra que Liz Harris est clairement déchirée entre les effets bénéfiques et négatifs de sa musique et les difficultés qui en émaillent la création.

«Afin de me sentir mieux pour ma carrière et mon équilibre mental, ajoute-t-elle, j'ai parfois le sentiment de traiter mes émotions lorsque j'écris. La distance est-elle trop grande ? Suis-je trop prudente ? En suis-je venue à souhaiter qu'on prenne mes problèmes en charge ? Qui sait... Peut-être ma musique peut-elle guérir et empoisonner à la fois.»

Pour Liz Harris, la musique serait-elle une défense contre le monde extérieur ?

«Ma musique est à la fois empoisonnée et extatique, à la fois démoniaque et paradisiaque. Maintenant, la musique me semble être à l'opposé de toute protection. Elle me bouleverse de l'intérieur et expose toutes mes faiblesses. Je suis toujours étonnée de constater de voir que les gens y voient d'abord une intention de soulagement. Alors qu'elle est inspirée par une incroyable tristesse, une incroyable douleur. Peut-être veulent-ils entendre ce désir de s'évader... et s'évader à leur tour.»

Dans le cadre des Suoni Per Il Popolo, Grouper se produit ce lundi, 20h, à la Sala Rossa. Nadja et Picastro partageront le même programme.