La terre était froide et humide au pied du mont Royal, là où, après la grande marche, les artistes s'étaient donné rendez-vous à la demande de Dominic Champagne. On avait installé la scène devant le parc Jeanne-Mance, sur l'autre versant de la montagne, lieu symbolique des spectacles de la Saint-Jean d'antan, quand la parole des artistes se fondait à celle d'un pays à venir et d'un rêve à accomplir.

Hier après-midi, le grand moment symbolique était davantage dans le spectacle de la rue que dans celui sur la scène. Car ils s'y sont fait plus attendre qu'entendre, nos poètes. Avant leurs prestations, on a eu droit à une série de discours de militants de tout acabit, de Greenpeace à Équiterre, tous solidaires pour dénoncer la cupidité de nos dirigeants. Une fois leur message passé, Dominic Champagne, grand manitou de ce rassemblement, est venu nous dire sa «fierté». Il nous a dévoilé que plus d'un quart de million de personnes avaient marché dans les rues du centre-ville: «J'étais sur le toit d'un des immeubles de La Cité et j'ai pu voir la plus belle marée humaine de ma vie!»

Le groupe Mes Aïeux a ouvert le volet musical avec une pièce (très à propos) de leur plus récent album, À l'aube du printemps. Ensuite, trois générations d'interprètes (Émilien Néron, le jeune écolier de Monsieur Lazhar; Fred Pellerin, le conteur de Saint-Élie-de-Caxton, et Gilles Vigneault, le barde de la Côte-Nord) se sont brièvement adressés à la foule. «Le rêve est plus long qu'un mandat de quatre ans», a lancé Pellerin.

C'était d'abord et avant tout un spectacle de solidarité et d'espoir. Tous les genres et tous les styles se côtoyaient dans un beau désordre, entre les discours et les invectives au Plan Nord ou au retrait de Kyoto. En duo, Pierre Lapointe et Ariane Moffatt, accompagnés du musicien François Lafontaine de Karkwa, ont entonné une chanson devant le public frigorifié. L'atmosphère a levé d'un cran quand le chanteur Olivier Langevin du groupe Galaxie est venu livrer son rock de garage. Et d'un cran encore avec la prestation de Betty Bonifassi et Beast.

Après sa pièce, le rappeur algonquin Samian a lancé un appel à la protection de nos richesses naturelles en s'adressant au premier ministre Charest: «Lorsque vous aurez coupé le dernier arbre et souillé la dernière rivière, vous réaliserez alors que l'argent ne se mange pas!»

La nouvelle coqueluche acadienne, Lisa Leblanc, est arrivée sur scène parmi une chorale de carrés rouges formée d'une douzaine de grévistes étudiants. Ils ont clamé haut et fort Ma vie c'est d'la marde. Le porte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois, a enchaîné avec le discours le plus radical du spectacle. Boucar Diouf est venu nous rappeler qu'«une société, c'est un comme chêne». L'animateur a fait monter sur scène les 48 marcheuses autochtones venues à pied du Nord du Québec pour le Jour de la Terre.

Au final, Diane Dufresne a livré son succès L'hymne à la beauté du monde: «Ne tuons pas la beauté du monde/Chaque fleur, chaque arbre que l'on tue/Revient nous tuer à son tour/Ne tuons pas la beauté du monde/La dernière chance de la Terre/C'est maintenant qu'elle se joue.»

En entendant ces paroles écrites par Luc Plamondon en 1979, l'une des marcheuses autochtones s'est mise à pleurer à chaudes larmes.

Les mots de Gaston Miron, poète cité à quelques reprises pendant le spectacle, l'auraient peut-être consolée: «Je suis arrivé à ce qui commence.»