Si elle pouvait donner une couleur à son récital avec l'Orchestre baroque Arion, Karina Gauvin choisirait le rouge: «Rouge velours, très sanguin, très italien, très chaud.» Conversation avec une chanteuse qui dure.

Karina Gauvin ne voulait pas d'une photo trop légère pour illustrer cette interview. La dame est rieuse - «Je tiens ça de ma mère», dit-elle spontanément - mais son programme intitulé Héroïnes et femmes fatales, avec l'Orchestre baroque Arion sous la direction d'Alexander Weimann, commandait un peu de sérieux. «Ce sont des airs à grand déploiement, c'est très théâtral», explique la soprano à propos de ce récital qu'elle donnera trois fois à la salle Bourgie du Musée des beaux-arts à partir du 27 avril.

Un hommage

En concevant ce programme, qui comprend également des arias de Vivaldi, Vinci et Leo, elle a voulu rendre hommage à la diva préférée de Handel, la soprano Anna Maria Strada del Po. «Quand tous les chanteurs se sont mis à quitter Handel pour aller chanter dans d'autres théâtres, elle lui est restée fidèle. Elle a créé plusieurs rôles dont celui d'Alcina, le plus célèbre, qui me tient beaucoup à coeur. Je l'ai chanté plusieurs fois avec les Violons du Roy. Ce sont des airs magnifiques, que je voulais sur le disque qu'on va enregistrer pour ATMA à Saint-Augustin de Mirabel, tout de suite après les concerts. J'ai enregistré sept opéras de Handel, dont six avec Alan Curtis avec qui j'ai beaucoup travaillé ces dernières années. Deux de ces disques sont à paraître: Jules César avec Marie-Nicole Lemieux, qui va probablement sortir à l'automne, et Giove in Argo, qu'on a enregistré il y a quelque temps et qui devrait également sortir bientôt.»

Karina Gauvin ne tarit pas d'éloges envers Alan Curtis qui lui a permis d'approfondir son interprétation de l'oeuvre de Handel qu'elle chante depuis toujours. «J'ai appris beaucoup avec cet homme-là, il m'a aidée à enrichir mes personnages. Je peux vraiment mettre mes pieds dans ces chaussures-là et m'exprimer à fond. Alan travaille un peu comme Handel à l'époque: quand il a trouvé quelqu'un qui lui plaît, il lui reste attaché.»

Les «baroqueux»

Karina Gauvin a beaucoup été associée à la musique baroque depuis ses débuts professionnels il y a une vingtaine d'années. Si ça lui a peut-être nui auprès de ceux qui la croyaient incapable de chanter «du Debussy ou de la musique moderne», elle affirme ne pas se sentir prisonnière du répertoire baroque.

«Au début de l'année, j'ai chanté avec l'Orchestre symphonique de San Francisco et Michael Tilson-Thomas Le martyre de saint Sébastien de Debussy, puis j'ai refait Les illuminations de Britten à Toronto. C'est certain que j'ai fait beaucoup de baroque, mais j'ai aussi chanté Shéhérazade avec Anima Eterna en Europe. Et l'an dernier, j'ai donné un récital de mélodies françaises à l'Opéra Comique de Paris que je vais refaire à l'automne aux États-Unis. Ça commence à bouger...»

Elle poursuit: «Pendant un certain temps, les gens se sont imaginé que parce qu'on chantait du baroque, on avait une voix petite, une perception un peu faussée par le disque. Récemment, j'ai chanté à Madrid et le directeur du théâtre était tout étonné. Des gens sont venus me voir pour me dire «oh the voice is huge, on n'avait pas idée», dit-elle en riant. Pendant des années, les «baroqueux» engageaient seulement des chanteuses à la voix blanche et peu timbrée, mais ça a beaucoup changé. Ce n'est certainement plus le cas en Europe.»

À peine de retour d'une tournée européenne, Karina Gauvin a plusieurs engagements à venir dans des maisons d'opéra importantes de l'autre côté de l'Atlantique: à Glyndebourne, à Munich... «Des femmes fatales, des femmes fortes, des rôles qui requièrent une voix, dit-elle. Ma carrière s'est faite petit pas par petit pas. Il y en a qui font de gros splash, qu'on voit partout. Mais je suis contente parce que je suis toujours là et je suis encore passionnée par ce que je fais. Comme me l'a dit mon agent: «L'important, c'est de durer et d'avoir la qualité sur le long terme. Toi, c'est ça que tu apportes».»

Héroïnes et femmes fatales. Karina Gauvin et l'Orchestre baroque Arion à la salle Bourgie du Musée des beaux-arts de Montréal, les 27, 28 et 29 avril.