De 1988 à 1993, Luc De Larochellière a été le plus jeune auteur-compositeur-interprète à succès du Québec. Avant d'être, jusqu'en 2001, le plus jeune «has been» de l'industrie - c'était l'expression utilisée dans le milieu... Et de passer enfin au statut d'«auteur-compositeur de talent qui dure» ! C'est à celui qui dure que nous avons parlé.

«Aussitôt on se croit un dieu, aussitôt on reçoit une croix» chantait Luc de Larochellière sur son disque Sauvez mon âme, qui avait tout récolté, en 1990: ventes, prix, honneurs... Et comme de fait, tout de suite après la méga-célébrité, en lançant un album plus rock qui a déstabilisé son public, De Larochellière a dû porter une croix, celle de l'oubli, de l'indifférence et du doute.

«Ç'a été un énorme deuil à faire, dit-il sobrement. À la fin des années 80, je suis un jeune homme timide, qui bégaie en plus, et je réussis enfin, en travaillant fort, à m'exprimer par la musique. Cette musique m'amène assez rapidement à un statut de vedette, je vends des disques et des billets de spectacle, et même si ma compagnie de disques ferme, j'en fonde une! Tout ça, ce sont des éléments très valorisants. Et puis... Et puis, ma popularité fond, mon compte en banque fond. La confiance aussi. À un moment donné, bien sûr, je me suis dit, le problème, ce n'est pas mes chansons, c'est moi.»

Luc De Larochellière n'a jamais fait dans l'auto-apitoiement. Il ne pleure toujours pas sur la route qui l'a mené jusqu'à être coprésident d'honneur à Montréal en lumière, la semaine dernière.

«Je suis devenu un artiste, puis un produit, puis un produit défini dans un marché, résume-t-il. Pour mon 2e album, Sauvez mon âme, j'avais écrit des chansons plus légères et joyeuses, pour faire un équilibre pendant mes spectacles avec les chansons plus sombres de mon premier disque. Et les gens ont aimé ces chansons pop. Seulement, moi, ce que j'écoutais dans ce temps-là, c'était Nirvana, Red Hot Chili Peppers... Quand j'ai sorti le 3e disque, Los Angeles (1993), plus rock, j'avais peut-être envie inconsciemment de briser le cycle.»

Ses fans, ici et en France, eux, n'en avaient pas envie. Et puis, d'autres artistes survenaient, pas plus jeunes, mais plus fous, pour faire danser les bougalous: Daniel Bélanger, Les Colocs, Jean Leloup... «En rétrospective, il y avait aussi, sans doute, une certaine fatigue, psychologique, physique, dit Luc. J'étais tout le temps en représentation, tout le temps en jet lag à cause des allers-retours vers l'Europe. Et j'avais 25, 26 ans, j'étais un ti-cul qui était de plus en plus incapable de payer la maison qu'il avait achetée.»

En 1995, De Larochellière devient le père d'une petite Claudel, âgée d'aujourd'hui de 16 ans. Son quatrième album studio, Les nouveaux héros, sort l'année suivante. Échec commercial complet et réception très tiède des médias. «J'avais le désir d'être créatif et le désir de plaire en même temps. Je n'étais plus en phase. Là, j'ai vraiment pensé à arrêter», confie-t-il.

Mais il y avait Claudel, qu'il faut aimer et faire vivre. Et puis aussi, peu à peu, un constat. Ce «sabotage», c'est peut-être le début d'un sauvetage: «sauver mon âme, littéralement». Extrême, comme technique, mais qui semble pourtant un passage obligé dans la carrière des chanteurs qui durent: l'autodafé personnel, la quasi-autodestruction publique pour cesser enfin de vouloir plaire à tout prix et revenir à soi-même.

De 1993 à 2000, Luc continue à donner des spectacles, à écrire, souvent pour d'autres. Et peu à peu, on fait appel à lui comme formateur, comme metteur en scène, comme rassembleur: festivals de Granby, de Petite-Vallée, etc.

En 2001, il décide justement de bâtir des ponts, plutôt que des murs, pour reprendre ses mots. «J'ai eu envie de revenir à la source: un show dans un bar et en gang, tous genres confondus.» Les Lundis à jammer du bar Verre Bouteille, angle Mont-Royal et Papineau, étaient nés. Aussi bien Michel Rivard que Roch Voisine et des dizaines d'autres artistes sont venus «jammer» avec Luc, pour le plaisir de chanter. «La chanson est tombée en guérilla depuis une dizaine d'années. Elle perd constamment en visibilité à la radio, à la télé, alors j'ai décidé de la pratiquer en terroriste, sur une petite scène, avec rien, sinon ma guitare», dit-il en souriant. Résultat: de trois affiches collées dans la vitrine du Verre Bouteille tout l'été 2001, les Lundis vont jusqu'à devenir une émission de Noël captée par Radio-Canada et diffusée dans toute la francophonie.

Ensuite, il y aura d'autres spectacles, mais aussi une difficile séparation amoureuse en 2004, un beau disque de duos en 2006 (Voix croisées), toutes choses qui vont le mener à l'écriture d'un Un toi dans ma tête, au succès critique, au succès populaire, à un nouvel amour et à un Félix. Mais surtout à une autre perception des choses, qui ne paie peut-être pas une maison, mais qui suffit pour payer le loyer d'un appartement.

«Les albums de Gainsbourg ont presque tous été des échecs commerciaux, mais tout le monde écoute et reprend ses chansons aujourd'hui, conclut-il. Le succès, c'est la durée, celle des chansons. C'est Au clair de la lune: personne ne sait qui l'a écrite, cette chanson, mais quel succès!»

1989 Né en 1966, le jeune chanteur remporte le Félix de l'auteur-compositeur de l'année avec Amère America (50 000 exemplaires vendus).

1990 Sauvez mon âme accumule les honneurs: 100 000 ventes au Québec, 80 000 albums et 200 000 singles de la chanson Cash City en France, trois Félix, le Juno de l'album francophone le plus vendu au Canada, une longue tournée au Québec et une tournée en France de 25 dates, une nomination aux Victoires de la musique en France...

De Larochellière en cinq temps

1989: Né en 1966, le jeune chanteur remporte le Félix de l'auteur-compositeur de l'année avec Amère America (50 000 exemplaires vendus).

1990: Sauvez mon âme accumule les honneurs: 100 000 ventes au Québec, 80 000 albums et 200 000 singles de la chanson Cash City en France, trois Félix, le Juno de l'album francophone le plus vendu au Canada, une longue tournée au Québec et une tournée en France de 25 dates, une nomination aux Victoires de la musique en France...

2009: Après des années arides, Luc De Larochellière sort son huitième et très bel album studio Un toi dans ma tête.

2010: Il reçoit pour la deuxième fois de sa carrière le Félix de l'auteur-compositeur de l'année de l'ADISQ, 21 ans après son premier.

2012: Aux côtés de l'harmoniciste Toots Thielemans, De Larochellière est coprésident d'honneur du 13e festival Montréal en lumière. Il signe la mise en scène du spectacle de clôture, le 26 février, tout en étant le directeur artistique du concours Ma première Place des Arts.