À la mémoire de Lhasa de Sela, tous les circuits se sont allumés. La justesse du ton. La rigueur des intervenants. L'effort de relecture. La chaleur humaine. La qualité de l'écoute. L'intensité de ces ondes apparemment calmes et placides. Sous la gouverne de Patrick Watson, un aréopage d'artistes brillants a entrepris d'interpréter près d'une trentaine de titres, le tout coiffé par un film sur la disparue.

Nourris à souhait, nous étions prêts à quitter un Rialto au terme de près de quatre heures de généreuse commémoration -ce qui semble s'être également produit samedi à guichets fermés comme la veille.

Cette soirée de vendredi n'avait rien de l'oraison funèbre, il faut le souligner d'entrée de jeu. Ces éclairages de fête foraine n'avaient d'autre objet que de célébrer la lumière de Lhasa. Évitant tout larmoiement, amis chanteurs et amis musiciens y ont repris tour à tour le répertoire composite de la chanteuse ou encore ont choisi d'entonner des chansons lui étant destinées dans les circonstances.

Outre la richesse et des instrumentations et la grande variété des arrangements préconisés à travers ce vaste programme, on aura noté le bel équilibre des reprises puisées dans les trois albums de feu Lhasa. De La Llorona: El Pajaro, De cara a la pared, Por eso me quedo, El desierto, Los peces. De The Living Road: Small Song, Con toda palabra, J'arrive à la ville, Anywhere On This Road, La marée haute, Soon This Place Will Be Too Small. De Lhasa : Is Anything Wrong, Rising, Anyone And Everyone, Fool's Gold, Bells Are Ringing.

On aura également applaudi la pertinence des reprises interprétées pour elle ou des chansons écrites à son endroit. De Bob Dylan, Shelter From The Storm qu'a chanté Pat Watson pour Lhasa, «a soldier of magic». De Chavela Vargas, La Llorona, « grosse influence de Lhasa» relue par Yves Desrosiers, avec qui tout avait démarré dans les années 90. D'Atahualpa Yupanqui, Los Hermanos, incontournable du répertoire latino-américain que Bïa et Lhasa ont «partagé comme des soeurs». Un magasin qui n'existe pas de Jérôme Minière, que Lhasa avait chuchotée pour son créateur lorsque la chanson fut mise en chantier. Cloud, imaginée pour la défunte par les Barr Brothers. Island Song, ultime chanson créée par Lhasa, de concert avec Joe Grass qui l'a chantée vendredi. Ou encore I Called You Back, superbe chanson de Bonnie Prince Billy servie en fondu de sortie.

Ainsi, chacun est monté sur scène, chaque relecture prévoyait une configuration particulière de cette communautés d'amis de Lhasa.

Chanteuses de talent: Ariel Engle, Katie Moore, Ariane Moffatt, Bïa, Marie-Jo Thério, Alejandra Ribera, Sarah Pagé ou même Eden Sela,  petite soeur de Lhasa dont la voix ne trahit vraiment pas les origines familiales!

Chanteurs de talent: Brad Barr, Pat Watson, Thomas Hellman, Radwan Ghazi Moumneh, Yves Desrosiers, Jérôme Minière, Warren Spicer -Mario Légaré et Joe Grass, sidemen notoires de Lhasa, ont même usé de leurs cordes vocales!

Groupes importants de la scène anglo-montréalaise: Barr Brothers (à peine de retour d'une performance chez David Letterman), Esmerine, Plants & Animals. Instrumentistes éminents de Lhasa : Légaré, Grass, Barr, Koella, Desrosiers, etc.

Dominante anglophone? Peut-être, mais bon, elle est à l'image du dernier chapitre de la vie artistique de Lhasa... dont le français était la troisième langue, il ne faut pas l'oublier. Une langue qu'elle a néanmoins embrassée. Prenons l'exemple d'On rit encore, sa première chanson écrite en français et qu'elle avait interprétée naguère aux côtés d'Arthur H.  Elle fut reprise vendredi par le chanteur français, «tout chamboulé» pour les raisons que l'on sait.

Ainsi, la forme de cet hommage préconisée par Patrick Watson s'est avérée simple, sobre, sans flafla. Sans animateur attitré pour les enchaînements, sans discours, sans pompe. Bien qu'ils aient parfois perturbé le rythme de l'écoute, les changements de configuration se sont généralement bien effectués. Point de vue exécution générale, on n'aura noté que quelques fautes mineures- ce qui va de soi dans un contexte où tant de musiciens devaient reconstituer un puzzle complexe et d'autant plus subtil. Néanmoins, nous avions devant nous un effort superbe de créativité sous le signe de l'amitié profonde. «Une semaine très touchante», a souligné Pat Watson à la fin de ce cycle pour le moins lumineux.

Avec raison, d'ailleurs. Cette «route a chanté» Lhasa pour de vrai.