Comment survivre à la mort prématurée de son amoureux ?  Personne ne peut répondre directement à cette question et ... quiconque fait face à cette tragédie doit en trouver une. Dans le cas qui nous occupe, Émilie Simon a perdu tragiquement son amoureux : François Chevalier, ingénieur du son de profession. D'où les chansons cathartiques de son nouvel album et dont plusieurs se retrouvent ou se prolongent dans la bande originale du film qu'elle a signée pour La Délicatesse, film réalisé par David et Stéphane Foenkinos et mettant en vedette Audrey Tautou.

I wrote some songs, they're all for you / There is nothing else that I can do, disent les toutes premières rimes de Franky Knight, un album bilingue qui porte le nom du bien-aimé disparu, dont la première chanson s'intitule Mon chevalier et qui se termine par Jetaimejetaimejetaime. C'est dire la douleur drainée dans le canal de la création. Et apaisée à sa sortie, on l'imagine.

« J'étais en train d'écrire ces chansons d'amour lorsque David Foenkinos m'a approchée en me faisant parvenir son roman (aussi intitulé La Délicatesse) et en me faisant part de son intention que je travaille au film qui s'en inspire. Lorsque j'ai réalisé que le thème central de mes chansons se rapprochait de celui de son histoire,  j'ai été intéressée. Des idées existaient avant que j'arrive à ce film. Or, lorsque j'ai vu les images, de nouvelles choses se sont produites dans ma tête, tant et si bien que l'album de chansons et la bande originale ont fait partie d'un même projet. »

En lisant le synopsis de La Délicatesse, dont la diffusion en salles québécoises est prévue au printemps 2012, on peut effectivement comprendre l'intérêt d'Émilie Simon dans le contexte :

Nathalie a tout pour être heureuse. Elle est jeune, belle, et file le parfait amour. La mort accidentelle de son mari va couper son élan. Pendant des années, elle va s'investir dans son travail, se sentir en parenthèse de sa vie sensuelle. Mais subitement, sans qu'elle comprenne vraiment pourquoi, elle embrasse un de ses collègues. Markus, un homme très atypique. S'ensuit alors la valse sentimentale de ce couple hautement improbable qui va susciter interrogation et agressivité au sein de l'entreprise. Choisit-on vraiment par quel moyen on renaît à la vie ? Nathalie et Markus vont finir par fuir pour vivre leur histoire et leur émerveillement à l'abri de tout.

On sait que notre interviewée n'en est pas à ses premières armes côté bande originale : en 2005, elle avait composé la musique du film documentaire La Marche de l'empereur pour ensuite signer celle de Survivre avec les loups en 2008, en plus de créer ses propres albums de chansons dont la forte teneur électronique s'est progressivement transformée en une approche hybride, avec machines et instruments de musique - sans titre en 2003, Végétal en 2006, The Big Machine en 2009 et ce tout nouveau Franky Knight.

Convoitée par le monde du cinéma, la chanteuse n'a toujours pas l'objectif premier de devenir compositrice de musiques de films. Chose certaine, elle y a pris goût !

« En général, résume-t-elle, les images m'inspirent. Et j'ai eu la chance de travailler avec des réalisateurs qui aimaient mon univers musical qui me permettent de vivre avec eux de très belles aventures. J'apprécie qu'ils m'accordent cette confiance et cette liberté d'action. Je ne suis pas une compositrice de musiques de film dont c'est l'occupation principale, mais je sais que les artistes de la pop peuvent aussi apporter de la fraîcheur et des couleurs personnelles aux musiques de films. »

Ainsi, elle a composé pour La délicatesse des thèmes qu'elle a ensuite réarrangés, émondés, finalisés, tout en constituant un corpus autonome de dix chansons pour l'album Franky Knight.

« Mes chansons, fait-elle observer, participent aussi à une vraie musique de film dont on trouve par ailleurs des instrumentations propres au scénario. Les personnages, les scènes sont associés à des thèmes musicaux.  Des musiques ont été créées en fonction de l'image et des images se sont fondues dans le rythme de la musique. »

L'écoute de l'album mène à souligner la transformation de la facture Émilie Simon, à tout le moins cette facture électro qui nous l'a fait connaître en 2003. Franky Knight, l'album, diffère même du précédent The Big Machine, album qu'elle juge «beaucoup plus frontal» et qui coïncidait avec le choc de sa nouvelle vie new-yorkaise.

« Dans ce contexte, explique-t-elle, j'ai cherché à créer des mélodies, harmonies et arrangements organiques. Organiques et chaleureux, en ce sens que j'ai beaucoup composé au piano plutôt qu'au moyen de logiciels d'ordinateur. Je ne voulais pas que ce soit dramatique, ce qui n'excluait pas l'intensité et l'approche mélodique. Or, même s'il ne s'agit pas de musique électronique, ma manière de composer s'y apparente.

« J'y exploite l'idée de boucle, de motifs répétitifs ou presque mécaniques. Ce qui, d'ailleurs, n'exclut pas les éléments électroniques qui apportent d'autres couleurs à l'ensemble. Qu'il s'agisse de la musique du film ou de l'album Franky Knight, ces chansons d'amour ne m'ont pas tant menée à faire dans l'électronique ou l'orchestral que de choisir un mode de jeu, je dirais humain. Par humain, j'entends des orchestrations organiques (cuivres et vents, par exemple). »

Ainsi, la tragédie personnelle d'Émilie Simon aura marqué profondément sa musique et chansons nouvelles. Jointe en France parce qu'elle y faisait de la promotion et passait du temps avec ses proches, Émilie Simon a toujours son appartement dans cette Grosse Pomme qu'elle n'a pas fini de croquer. La vie suit son cours...

Visiblement, la chanteuse et musicienne a su transformer un drame personnel en énergie positive, et ce à travers un scénario qui s'en rapprochait. «C'est vrai, conclut-elle, j'avais beaucoup à dire. Forcément l'histoire du film m'a touchée. Mon implication a été extrême afin de le mettre en valeur par ma musique. »