Annie Erin Clark, 29 ans, a abandonné de brillantes études à Boston pour migrer vers la planète indie. Elle a fait partie de l'ensemble choral Polyphonic Spree, fut guitariste de tournée pour le surdoué Sufjan Stevens avant de voler de ses propres ailes. Depuis 2007, la résidante de New York a lancé trois albums sous le pseudonyme St. Vincent: Marry Me (2007), Actor (2009) et le récent Strange Mercy ne laissent personne indifférent: on adore ou on abhorre.

On aime ou on réprouve ses constructions chansonnières. On aime ou on réprouve ses arrangements chargés et complexes, qui sortent clairement des sentiers battus. Idem pour ces textures sonores qui lui sont propres. Pour cette tension étrange entre douceur et rugosité, entre élégance et aspérité. Que pensera-t-on d'Annie Clark sur scène, ce soir au Corona?

Quelques jours avant l'escale montréalaise, on la joint à Dallas où elle se repose chez ses parents avant de reprendre la route. Miss Clark est un pur produit du raffinement texan: native de l'Oklahoma, elle a grandi à Dallas où sa famille vit toujours.

«Contrairement à ce qu'on pense, le Texas génère de très bons artistes, particulièrement de bons musiciens. La North Texas University comprend l'une des meilleures facultés de musique aux États-Unis», souligne-t-elle avec un accent qui n'a rien de rustre. Le choix de son pseudonyme, d'ailleurs, renvoie au St. Vincent Catholic Medical Center, là où est mort le poète Dylan Thomas en 1953. «St. Vincent, le lieu où la poésie vient pour y mourir», résume la principale intéressée dans son profil Wikipédia. On est loin des Cowboys de Dallas!

Au Texas, donc, Annie a joui d'une excellente éducation, avant de poursuivre des études à Boston, soit à la Berklee School of Music, études qu'elle n'a pas complétées. Sans regret? Sans regret: «Je ne corresponds pas vraiment au profil du musicien de jazz ou de studio. Ce qu'on m'a enseigné à Berklee n'était pas utile pour ce que je cherchais en tant que musicienne.»

À l'évidence, l'indépendance d'esprit l'a menée ailleurs. À d'autres territoires où l'efficience musicale et la sophistication des formes sont les bienvenues. Ainsi, harmonies sophistiquées, rythmes peu évidents et sons insolites font partie du vocabulaire de St. Vincent, qui s'exprime pourtant dans la forme chanson.

«Lorsque j'écris quelque chose de très simple, admet-elle, je ne sens pas que cela provient de ma nature profonde. Est-ce suffisant? Mon plus grand défi consiste à inclure toutes ces complications qui me trottent dans la tête dans des chansons plutôt simples en apparence. Y faire converger des formes conventionnelles avec des musiques plus exigeantes, plus avant-gardistes, qui s'adressent de prime abord aux mélomanes plus exigeants.»

On aura saisi qu'Annie Clark aime le risque de paraître un tantinet bizarroïde.

«Mes artistes préférés, renchérit-elle, sont capables de combiner avantageusement tradition et avant-garde d'une manière intéressante - Tom Waits, David Byrne, XTC ou Sufjan Stevens sont de bons exemples, mais il y en a tant d'autres. Bien sûr, cette approche comporte des risques, cela ne peut en être autrement. Quoi qu'il en soit, je ne serais pas heureuse de m'en tenir à des chansons «normales». Il me faut chercher.»

Chercher un résultat différent, mais encore des manières différentes d'y parvenir.

«Je crois qu'il est très important de changer le processus de création. Pour faire émerger de nouvelles choses de l'inconscient, il faut rompre avec la routine acquise lors d'un cycle précédent de création. Pour l'album Actor, par exemple, je n'ai touché à aucun instrument lorsque j'en ai composé les musiques. Tout avait été créé par ordinateur avant d'aller en studio, mon imagination devait l'emporter sur ce que mon corps pouvait accomplir avec des instruments de musique.

«Pour Strange Mercy, j'ai fait exactement le contraire. Je me suis retrouvée seule avec une guitare et j'ai composé chaque chanson d'une manière traditionnelle. Pour moi, en tout cas, il s'agissait d'un processus entièrement neuf, car j'avais toujours écrit au moyen de logiciels, c'est-à-dire depuis une quinzaine d'années. Cette fois, je me suis donné cette consigne: si mes chansons ne tiennent pas la route dans leur forme la plus simple, mieux vaut passer à un autre sujet!»

Décidément...

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St.Vincent se produit samedi soir au Théâtre Corona. Le groupe est attendu sur scène à 22h et sera précédé de la chanteuse Cold Specks, à 21h.