Elle a été la risée de l'intelligentsia québécoise. Dominique Michel l'a parodiée au Bye Bye. Les critiques trouvaient ses textes franglais épouvantables. Nathalie Petrowski a carrément écrit que Vivre dans la nuit lui donnait envie de tuer. De toute évidence, les mauvais traitements n'ont pas eu raison de Sandra Dorion. Alors qu'on la croyait morte, l'ancienne chanteuse du groupe Nuance revient un quart de siècle plus tard avec Telle quelle, son premier album solo.

«J'étais tombée dans l'anonymat, résume la femme de 45 ans, qui mène aujourd'hui une vie rangée à Gatineau, avec son mari (Daniel Séguin, ancien gérant de Nuance) et ses deux enfants. Après le groupe, je suis retournée aux études. Je suis devenue secrétaire juridique. J'ai eu une garderie pour animaux domestiques. Puis j'ai été mère de famille à temps plein.»

Passé le succès fulgurant de Vivre dans la nuit en 1986 (trois Félix, 80 000 exemplaires vendus), cette nouvelle existence lui convenait parfaitement. Plamondon l'a sollicitée pour Starmania. Le Cirque du Soleil, pour Alegria. Le Festival des montgolfières a demandé à Nuance de se reformer. Mais elle a décliné toutes les offres, préférant mettre la famille avant sa carrière. «Au fond, dit-elle, j'ai toujours été pantouflarde.»

Le hasard l'a ramenée sous les projecteurs. L'an dernier, elle a renoué avec son ancien complice Michel Lefrançois («Le sixième membre de Nuance», dit-elle) pour enregistrer une nouvelle version de Vivre dans la nuit. La chanson devait servir à amasser des sous pour le diabète, maladie qui afflige l'une de ses filles. Elle a finalement débouché sur un album complet, «fait sur mesure pour moi, selon mes termes et mes conditions».

À quoi s'attendre, après 25 ans d'absence? Elle hausse les épaules. Elle sait que l'industrie du disque a changé. Que ses nouvelles chansons pop-rock ne tourneront pas forcément à la radio. Mais elle compte sur la loyauté de ses anciens fans: «Si 10% des gens qui m'écoutaient à l'époque sont encore à l'écoute, ce sera bien.»

Elle ne s'en cache pas, c'est un vrai retour. Il y aura de la promo, des spectacles et tout le tralala. Pour ce qui est du mépris et de la critique, advienne que pourra. Elle assure que les «bitchages» du passé ne l'ont pas affectée. «Ça a fait de moi une meilleure personne, je me suis fait une carapace.» Seule exception: l'article de Petrowski, qui lui a laissé un drôle d'arrière-goût. «Elle a quand même écrit que Vivre dans la nuit lui donnait envie de me tuer», dit-elle, encore ahurie.

Mèches blondes, vêtements sobres, rides discrètes, Mme Dorion n'a rien de la chanteuse glam rock de notre souvenir. Les gants de dentelle ont pris le bord, tout comme les cheveux crêpés, la jupe orange sexy et cette robe ridiculement serrée qui lui avait valu bien des quolibets au gala de l'ADISQ. Manifestement, la dame ne vit plus «dans la nuit».

Et les autres membres de Nuance? Un seul a continué dans la musique (le claviériste Mario Dubé), les autres se sont éparpillés entre l'informatique, les assurances et le joyeux monde des garderies. Eux aussi vivent de jour...

«Faut pas penser qu'on a fait beaucoup d'argent avec cette chanson, conclut Sandra Dorion, qui dirige aujourd'hui une compagnie de production avec son conjoint. On avait divisé les droits d'auteur en cinq parties égales. Avec mon premier chèque, je me suis acheté des électroménagers. Après, ça m'a juste servi à faire des beaux cadeaux de Noël! «