À 65 ans, le cinéaste américain David Lynch publie lundi son premier album, Crazy Clown Time, un essai électro d'une étrange familiarité tant il fait écho à l'univers énigmatique et envoûtant du réalisateur de Mulholland Drive.

«Je n'ai pas vraiment décidé (d'enregistrer un disque), c'est arrivé», a récemment confié David Lynch au magazine Les Inrockuptibles. «Dans les années 90, j'ai fait construire un studio d'enregistrement chez moi pour expérimenter le son. Parfois des artistes viennent y travailler. Un jour, une jeune femme y a enregistré un morceau de dance music. L'idée de dance music m'a saisi».

Fin 2010, le réalisateur publie deux titres Good Day Today et I know, qui reçoivent un accueil chaleureux de la critique. Le label indépendant Pias lui demande s'il a d'autres morceaux et, de fil en aiguille, un album prend forme.

Pour Crazy Clown Time, enregistré avec l'ingénieur du son Dean Hurley, le réalisateur n'a pas fait les choses à moitié. Il a lui-même écrit et produit ce premier album, sur lequel il joue de la guitare et chante.

La passion de David Lynch pour la musique a toujours joué un rôle important dans ses films, depuis son premier long-métrage Eraserhead (1977), qui comprenait une chanson qu'il avait écrite avec Peter Ivers, jusqu'à son plus récent Inland Empire (2006) pour lequel il a écrit plusieurs titres.

Le réalisateur a fréquemment collaboré avec des musiciens, comme le compositeur Angelo Badalamenti (Twin Peaks), le pianiste polonais Marek Zebrowski (Inland Empire), Sparklehorse et Danger Mouse (Dark Night of the Soul).

Il y a quatre ans, motivé par ses ambitions musicales, il a créé la David Lynch Music Company. En 2010, il a transformé son site internet (www.davidlynch.com) en archive numérique reprenant l'intégralité de l'offre musicale publiée par cette société, ainsi que des singles inédits, des expérimentations et des instrumentaux créés par lui-même et ses collaborateurs.

Si David Lynch décrit l'album comme du «blues moderne», Crazy Clown Time est en fait un mélange de rock et d'électro, sur lequel le cinéaste a réussi à transposer l'univers si singulier et parfois hermétique de ses films.

On y croise les nappes de synthés planantes qu'Angelo Badalamenti avait conçues pour Twin Peaks, on y retrouve les guitares lancinantes et le tempo lent dont il adore envelopper ses images.

La voix du réalisateur, qui rappelle sur certains titres les intonations d'Iggy Pop, est la plupart du temps distordue par ordinateur. Son chant est heurté, étouffé, parasité, comme pour délivrer un message caché, une technique qu'il utilise aussi dans ses films.

Même les courtes descriptions des chansons qu'il a données à la presse pourraient être le résumé d'un de ses longs-métrages.

Pinky's Dream, le titre qui ouvre l'album interprété par la charismatique chanteuse des Yeah Yeah Yeahs Karen O, est ainsi défini comme «l'horreur et la tristesse de perdre quelqu'un dans d'autres dimensions».

Le menaçant Speed Roaster, sur lequel il chante «Je suppose que tu dirais que je te traque/Il est possible que je te traque, bébé», est décrit comme «une histoire d'amour sans retour, près d'une forêt de pins».

«Je crois que ma nature est d'expérimenter. La musique représente aujourd'hui pour moi le bon lieu pour cela. C'est une évolution étrange dans ma vie, mais j'adore faire de la musique maintenant», a confié le réalisateur, qui n'a plus tourné depuis «Inland Empire».