Ah que les fidèles semblaient heureux de retrouver les gars de Dream Theater hier soir à Montréal. Après le centre Bell et l'Auditorium de Verdun, c'est dans le confort des fauteuils de la salle Wilfrid-Pelletier que les fans du renommé groupe métal-progressif américain s'étaient donné rendez-vous.

En un peu plus de deux heures, le groupe a réussi à prouver deux choses: d'abord qu'il pouvait encore se renouveler après plus d'un quart de siècle. Ensuite, qu'il avait  survécu au départ de son légendaire batteur Mike Portnoy, parti l'an dernier.

Dès les premiers sons de l'obscur chant de gorge qui ouvre Bridges in the sky, le groupe a eu droit à une ovation monstre de la part des quelques 3000 spectateurs assistant à ce concert présenté à guichet fermé. Les cris fusaient déjà durant un préambule animé plutôt kitsch représentant les membres du groupe en divers personnages (Jordan Rudess en sorcier, John Myung en samurai, etc), présentés sur trois cubes perchés en haut de la scène et dédiés aux effets visuels tout au long de la prestation.

Puis, le claviériste Jordan Rudess, avec son long bouc blanc, a pris place derrière sa console, talonné par le chanteur James LaBrie, le bassiste John Myung et le guitariste John Petrucci. Sensation étrange de voir le nouveau batteur Mike Mangini prendre place derrière ses nouveaux acolytes, là où Mike Portnoy a fait des ravages durant tant d'années. Mais peu de gens semblaient s'en formaliser à en juger par l'accueil chaleureux réservé à Mangini.

Dans la salle, les fans de la première heure se mélangeaient au noyau dur de trentenaires et à ses nombreux jeunes qui devaient à peine être un projet dans la tête de leurs parents lorsque l'album Images and Words est paru en 1992.

«Yeah! Bonjour Montréal, comment ça va?», a lancé dans un bon français l'Ontarien James LaBrie à la foule enthousiaste. «Chaque fois qu'on vient ici, on a un tel accueil, c'est pourquoi on a toujours hâte de revenir», a ajouté le chanteur, avant d'enchainer Build me up, break me down, une autre pièce de leur dernier opus A dramatic turn of events.

Petrucci, statique dans son coin, balayait la foule avec son regard hypnotique pendant que ses doigts semblaient possédés sur le manche de sa guitare. Le discret John Myung faisait de même sur sa basse, le visage toujours dissimulé derrière ses longs cheveux noirs. Au milieu de la scène, James LaBrie, avec sa gueule de tueur en série, y allait de ses mimiques de pantin désarticulé. Ce dernier, avec sa voix aiguë qui n'a jamais fait l'unanimité, sait se retirer pour laisser toute la place aux musiciens qui enfilent des solos fort appréciés. Bien conscient que le succès de ce groupe ne repose pas sur ses larges épaules. Bien au contraire.

Pendant Endless sacrifice, le public ne s'était toujours pas assis. Vers la fin de la pièce, Petrucci et Myung jouaient côte à côte en symbiose, rejoints dans ce duel synchronisé par le claviériste Rudess, armé d'une guitare-piano à distorsion. L'instrument a beau nous ramener directement à l'époque de Kidd Video, le son qu'il produit se mariait parfaitement au délire musical de ses deux compères.

Puis, ce fut au tour de Mangini de montrer ce dont il était capable dans un long solo à saveur de rite de passage. Seul au milieu de sa batterie, il se débattait comme un animal en cage, le sourire fendu aux oreilles, à bout de souffle et acclamé par la foule conquise. Mike qui?

Pour achever le public, le groupe a enchainé avec l'épique Ytse Jam. Un des moments forts de la soirée, même si amputée du solo de batterie historiquement inclus à la fin, histoire sans doute de donner un peu de répit à Mangini.

Retour dans le passé ensuite avec Waits for sleep, avec seulement le piano et la voix. Mignon et à propos après le déluge de riffs qui venaient de nous tomber dessus.

Après une autre ballade un peu sirupeuse, le groupe a enfilé Outcry, l'excellente On the backs of angels et le classique Caught in a web, titre du lointain album Awake.

Vers la fin du concert, la formation a interprété deux pièces de l'album chouchou Metropolis Part 2: Scenes From a Memory. Les briquets allumés et les effluves de pot faisaient oublier momentanément que nous étions à la salle Wilfrid-Pelletier, où l'acoustique était excellente cela dit. Un frisson a parcouru la foule lors de la finale magistrale de Fatal tragedy, dans laquelle les musiciens se donnent tour à tour les répliques avec des solos surréalistes et complexes.

Les virtuoses de l'Université Berkley ont ensuite tiré leur révérence avec la célèbre Pull me under, qui a sans doute largement contribué à faire connaître le groupe.

Bien sûr on aurait aimé entendre la chanson culte Metropolis ou une pièce de l'expérimental Six degrees of inner turbulence, mais Dream Theater souhaitait visiblement tirer un train sur le passé. Et peu de gens semblaient s'en plaindre.

Le groupe Trivium qui partageait l'affiche avec Dream Theater a par ailleurs offert une solide performance en première partie. Et plusieurs spectateurs étaient là pour lui, à en juger par le nombre de t-shirts du band floridien. Les signes de devil fusaient de toute part et le public était particulièrement survolté pendant Throes of perdition. En entrevue à La Presse récemment, le guitariste de Dream Theater, John Petrucci, disait d'ailleurs être très impressionné par cette formation née en 2000.