Les Who n'ayant jamais joué Tommy d'un bout à l'autre, leur chanteur Roger Daltrey a entrepris de faire revivre dans son intégralité le célèbre opéra rock cette année. Daltrey a interverti l'ordre de quelques chansons, il a fait un petit ajout et il a carrément retranché Underture, une pièce instrumentale de plus de dix minutes, ceci expliquant sans doute cela. Mais voilà, sans cette Underture, c'était le même Tommy que les Who ont bel et bien joué en 1989 et qui a été immortalisé sur l'album Join Together...

N'empêche, on sentait mardi dans la salle Wilfrid-Pelletier une atmosphère des grands soirs mêlée à l'inévitable parfum de la nostalgie. Cette longue suite qui s'étendait sur deux vinyles en 1969 a vieilli, c'est entendu. Mais n'allez surtout pas le dire aux fans montréalais qui ont applaudi, chanté et mimé l'histoire de l'enfant sourd, muet et aveugle agressé par ses proches et qui deviendra un as de la machine à boules et le gourou d'une génération.

«Je ne peux être les Who sans mon pote», a dit Daltrey à la toute fin de ce spectacle de deux heures et demie en faisant référence à Pete Townsend, auteur-compositeur-guitariste et seul autre survivant du groupe anglais que le chanteur espère ramener sur les planches l'an prochain malgré ses problèmes de surdité. Daltrey lui-même a eu ses petits bobos: l'opération à la gorge qu'il a subie il y a deux ans a laissé des traces audibles. Daltrey a forcé sa voix et a faussé pendant Go To The Mirror et ça ne s'est pas amélioré peu après pendant Sensation. Mais alors que d'autres auraient modéré leurs transports ou carrément triché, le chanteur des Who a mordu dans ses chansons de jeunesse avec la même énergie. Et l'absence de Townshend nous a permis de découvrir un bonhomme aussi sympathique que généreux.

Daltrey nous a refait le coup du micro qu'il lance comme un lasso; il ne lui manquait que les boucles blondes et la veste à franges de l'époque. Pete Townshend n'était pas là, mais son frère Simon si, qui a chanté à sa place pendant Tommy, s'est substitué à Daltrey pendant une Sally Simpson sans doute au-dessus de ses forces et nous a même interprété Going Mobile que les Who ont boudée trop longtemps. Le petit frère a également fait honneur à son aîné en grattant avec énergie les cordes de sa guitare acoustique pendant Pinball Wizard, qui a provoqué la première ovation spontanée de la soirée. Et, avec les quatre autres musiciens, il a rendu à la perfection les harmonies vocales essentielles au répertoire des Who. Le batteur Scott Devours s'est particulièrement bien défendu, lui à qui Daltrey a confié la tâche impossible de remplacer l'immense Keith Moon.

Après Tommy, Daltrey a pigé dans ses propres chansons et les classiques des Who, repêchant même la préhistorique Pictures of Lily. Il nous a servi une version plus bluesée que rock de My Generation, chantant «hope I die before I get old» avec juste ce qu'il faut d'ironie, mais l'instant d'après, la Young Man Blues que les Who ont empruntée à Mose Allison il y a 40 ans n'avait presque rien perdu de son énergie sauvage.

La soirée aurait pu se terminer sur Baba O'Reilly que les fans ont chantée à pleins poumons mais Daltrey a enchaîné avec une déclaration d'amour sentie à son public et il a conclu sur Blue, Red and Grey, un hymne à la vie que chantait jadis son copain Townshend sur un arrangement de cuivres du regretté bassiste John Entwistle.

Une fin tout indiquée pour un concert joyeux, chaleureux et sans prétention.