Depuis le temps que Montréal attendait sa Maison symphonique, les invités du concert inaugural avaient tous des attentes très élevées hier soir. Qu'à cela ne tienne, ces spectateurs privilégiés parmi lesquels on a reconnu des politiciens, des gens d'affaires et la moitié du bottin artistique sont repartis avec un large sourire aux lèvres, enchantés de cette première prise de contact avec la nouvelle résidence de l'Orchestre Symphonique de Montréal.

Le premier véritable moment d'émotion est survenu après les allocutions de Lucien Bouchard, président du conseil de l'OSM, qui a notamment salué les acteurs de premier plan que furent Wilfrid Pelletier, Pierre Béique et Charles Dutoit, et du premier ministre Jean Charest qui a souligné le rôle de l'ex-ministre Monique Jérôme-Forget dans la naissance de cette salle. Les choeurs et les musiciens de l'OSM se sont amenés sur la scène pour la cérémonie de coupure du ruban symbolique et aussitôt, des bravos se sont fait entendre et la salle s'est levée pour acclamer ces musiciens méritoires qui avaient signé une entente de quatre ans avec la direction de l'Orchestre la veille.

Puis le concert a commencé par l'interprétation successive de trois oeuvres de compositeurs québécois qui ont permis de goûter à différentes facettes de l'acoustique de la nouvelle salle dont on nous avait dit tant de bien: une soliste et un choeur a cappella, un solo du flûtiste Timothy Hutchins, juché dans les hauteurs à l'arrière de la scène, des comédiens et chanteurs récitant depuis les corbeilles des textes sur le thème de l'universalité de la musique signés Joséphine Bacon, Yann Martel, Marie-Claire Blais et Wajdi Mouawad, puis une pièce orchestrale. Et puis, bien sûr, la pièce de résistance, la Neuvième de Beethoven avec son irrésistible Scherzo et le festin vocal du dernier mouvement accompagnant le poème de Schiller l'Ode à la joie.

Nouvelle dimension sonore

C'était l'évidence même: dans cette salle, même les silences sont beaux et le moindre bruit prend une autre dimension. La première à le constater fut la soprano Erin Wall quand elle a descendu les marches du choeur, brisant ainsi le silence religieux qu'observait la salle entre la cérémonie protocolaire et le début du concert.

Le flûtiste Timothy Hutchins, dont on pouvait entendre le moindre pépiement pendant son solo affirmait que cette oeuvre de Gilles Tremblay n'aurait pas pu fonctionner à Wilfrid-Pelletier. Son collègue clarinettiste André Moisan ajoutait qu'il avait exploré tous les recoins de la salle lors de la générale de la veille et en était revenu ébahi: «C'était clair, limpide, défini. J'avais quelques réserves à certains endroits au parterre et l'acousticien Tateo Nakajima était d'accord, mais il avait déjà fait quelques modifications aujourd'hui.»

Le compositeur François Dompierre avait des attentes élevées lui aussi: «Je m'attendais à ça et j'ai eu ça: c'était formidable, a-t-il dit au sortir du concert. Je vais revenir pour des gros machins, La Turangalîla, un Mahler, la Symphonie alpestre de Strauss avec l'Orchestre Métropolitain, pour entendre comment la salle réagit à une très grande concentration d'instruments.»

Même ceux qui comme la chanteuse et violoncelliste Jorane étaient au dernier balcon ont apprécié leur expérience: «Au début, je me suis dit que j'aimerais être au parterre pour le son. Mais dès que j'ai entendu les voix, c'était parfait. Le design est extrêmement bien fait et les musiciens, extraordinaires. Pourquoi être au parterre?» Un autre spectateur assis au même endroit nous disait que de là-haut il avait vraiment eu l'impression que l'orchestre était dans la salle avec les spectateurs.

D'où nous étions, dans le choeur, derrière les percussionnistes et à la droite des chanteurs, la perspective était tout aussi intéressante: le parterre nous semblait tout petit. «On se sent vraiment dans une coque», a fait remarquer notre voisin Dany Laferrière, ravi d'avoir assisté «à une belle soirée, à la bonne place». De nos sièges, nous avions une tout autre image du maestro Nagano. De dos, on le voit gesticuler, mais de face on lit sur son visage aussi bien les grimaces intenses que les sourires de satisfaction et on le voit même chanter en fixant de son regard pénétrant les choeurs devant lui. «Tu vois le travail», de dire Laferrière.

La perspective sonore, elle, est inversée, les violons qu'on a habituellement à l'avant-plan sont un peu plus éloignés tandis que les cors et les percussions sont omniprésents. Surtout, on se rend compte que la plénitude du son qu'on nous avait promise ne tient pas tant au volume, mais bien aux nuances que permet cette Maison symphonique.

Une bien belle soirée, en effet. Et qui, alors que nous nous dirigions vers le journal, se poursuivait dehors par la projection de la Neuvième de Beethoven sur l'écran géant le plus spectaculaire du coin: les murs extérieurs de la nouvelle salle.