De mercredi à dimanche dernier, Spa, ville des eaux et «perle des Ardennes», s'est transformée en capitale de la chanson le temps des 18es FrancoFolies. C'était l'heure de partir à la recherche des nouveaux talents du plat pays, lesquels demeurent étonnamment silencieux sur le sujet de l'heure: la menace de scission du pays.

Charles Gardier, directeur des FrancoFolies de Spa, est agacé. Par la crise communautaire entre néerlandophones et francophones, d'abord, lui qui est aussi un élu municipal. Mais aussi à cause du débat sur la langue de ces Francos, remis sur la table par un dossier paru récemment dans le quotidien Le Soir.

Car aux Francos belges, environ 18% de l'affiche est constituée de groupes ou d'artistes wallons s'exprimant en anglais. On entend l'anglais aux Francos de La Rochelle aussi, remarquez. Mais le constat est là: les jeunes musiciens belges ont de plus en plus tendance à adopter la langue de Coldplay pour tenter de percer le milieu.

Gardier prend acte de ce changement, mais défend de tout coeur le français et la mission première de son festival. «La réalité belge est différente de celle du Québec, explique le directeur. Et Dieu sait si on en parle, avec toute cette crise. Ces jours-ci, on est plutôt en train d'essayer de voir comment solidifier l'unité de ce pays. Si je veux pouvoir accueillir un maximum de talent belge, je dois intégrer des groupes qui s'expriment en anglais. Il y a les Wallons, mais aussi les Flamands, qui chantent beaucoup en anglais.» Par ailleurs, le public qui apprécie la musique anglophone est exposé aux découvertes francophones en venant aux Francos, ajoute-t-il.

Malgré tout, y aurait-il là un symptôme de la crise identitaire qui se trame en filigrane de la crise politique? Devant la montée du nationalisme flamand, le sujet est ausculté dans les médias: «Qu'est-ce qu'être Belge aujourd'hui?» demande le quotidien La Libre Belgique dans un forum de discussion qui s'anime depuis les dernières élections, le 13 juin 2010.

Journaliste au quotidien Le Soir, Thierry Coljon rappelle toutefois que plusieurs musiciens, principalement flamands, ont pris position sur scène au cours des dernières années. «Mais chez les francophones, on va plutôt en parler dans les entrevues, si la question est soulevée, pas en chanson. Car tous sont pour une Belgique unie, puis il n'y a pas vraiment de parti nationaliste wallon, comme le N-VA pour les Flamands.»

Patriotisme

Jeudi dernier, jour de la fête nationale, on cherchait les envolées patriotiques des artistes locaux. Nous n'en avons trouvé qu'une seule du côté de Daan Stuyven (nom de scène: Daan), Flamand francophile tombé amoureux de Spa, où il s'est installé.

Un vrai coup de coeur, l'ex-Dead Man Ray. Dandy ténébreux, un peu Bashung, un peu Arno, avec une voix plus mélodieuse, plus colorée, et de belles chansons graves et caressantes. Il chante en néerlandais, en français et en anglais. Pendant son concert, il s'est prononcé pour une Belgique unie. Dans une Wallonie unanimement «fédéraliste», le commentaire rallie. Du côté flamand, Daan est perçu par certains comme un vendu. Cette opinion a pris de l'ampleur le jour où, en chanson, il a attaqué à mots à peine couverts Bart De Were, président du parti nationaliste flamand, N-VA.

Ils sont peu politisés, les artistes wallons aperçus aux Francos, mais, pour ce qui est de la sauvegarde de l'identité francophone belge, il y a de l'espoir en chanson. Jali, jeune francophone aux origines rwandaises, est une vraie bombe d'énergie sur scène, un musicien qui communique avec son auditoire et qui pond une pop charmante et accrocheuse.

On parle énormément de Stéphanie Crayencour, jeune actrice révélée par Éric Rohmer en 2007, qui vient de lancer La garçonnière, petit trésor de chanson pop rock aux accents sixties, coécrit et réalisé par Saule. Autre révélation, le gaillard Peter Butlink (un autre Flamand), leader de l'Orchestre du mouvement perpétuel, qui inaugure sa carrière solo de poétique manière, avec sa chanson française métissée au jazz, au funk, au rock indé et à la musique électronique.

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Les frais de déplacement de ce reportage ont été payés par l'organisme Wallonie-Bruxelles Musiques.