Propos recueillis par Daniel Lemay, Josée Lapointe, Marie-Christine Blais et Alexandre Vigneault   Le géant de la chanson québécoise, Claude Léveillé, qui est décédé la nuit dernière laisse dans le deuil plusieurs amis  du monde artistique. Ils ont voulu lui rendre hommage aujourd'hui.

> Réagissez au décès de Claude Léveillée sur le blogue d'Alain Brunet

«Quand il était heureux, Claude donnait de l'amour et de l'attention aux autres. Mais dès qu'il était malheureux, on en subissait les conséquences», se rappelle l'écrivaine Francine Allard, qui a longtemps été sa voisine. Elle garde de lui le souvenir d'un homme rassembleur, qui aimait donner des fêtes, mais aussi celle d'un être marqué par le suicide de son fils, en 1980. «J'ai vu Claude écroulé complètement à la mort de son fils. Je lui ai fait à manger pendant des semaines, je l'ai embrassé, serré dans mes bras, je l'ai bercé.»

- Francine Allard, écrivaine

«Je perds celui qui a fait en sorte que ma vie a été celle que j'ai eue, confie André Gagnon. Alors qu'il s'accompagnait seul au piano jusque-là, il m'avait choisi pour jouer avec lui, jamais je n'aurais osé le lui demander. J'étais fasciné par sa façon de jouer du piano, ses positions de mains très particulières, pas orthodoxes, mais qui parvenaient toujours à leurs fins. Jamais je n'ai noté une faille dans sa façon de jouer son répertoire tellement romantique, il aurait pu être écrit au XIXe siècle...» Sur son dernier disque, André Gagnon a composé un morceau en son honneur, intitulée Le piano de Claude. «Quand je le lui ai envoyé, il m'a appelé pour me remercier, il était très content du titre. Je lui ai dit que bien des pianos au Québec pourraient porter son nom.»

- André Gagnon

Photo: Bernard Brault, La Presse

André Gagnon

«Pour moi, c'est le plus grand interprète masculin de tous les temps au Québec, il n'y en a aucun qui m'a fait pleurer autant», confie Marie-Élaine Thibert, qui a, depuis des années, adopté sa chanson La légende du cheval blanc. «Quand je chante, j'essaie un peu de lui ressembler. C'est un peu mon mentor, sans qu'il ne le sache. Il a été un professeur pour moi.»

- Marie-Élaine Thibert





Martin Roy, LeDroit

Marie-Élaine Thibert

«J'ai connu Claude en 1961, car à l'époque, il sortait avec ma soeur Louise, raconte Guy Latraverse. Claude, qui n'était pas intéressé par l'aspect comptable de son métier, m'a demandé de m'occuper de ses affaires. Quelques mois plus tard, il a accepté, sans contrat, de chanter pour 300$ à l'Auditorium du Plateau. Quand il a su que les 1400 billets avaient été vendus, il m'a demandé si je pouvais «arranger ça». Je suis allé au Plateau avec un ami avocat et nous lui avons obtenu 1500$. Après le spectacle, Claude m'a dit: «Désormais, tu es mon impresario.» Guy Latraverse est dans le métier depuis 50 ans. «En avril 1964, Claude Léveillée a été le premier chanteur québécois à se produire à la Place des Arts qui venait d'ouvrir.»

- Guy Latraverse, producteur

Photo Robert Mailloux, La Presse

Guy Latraverse

«Claude Léveillée est un des artistes qui a le plus compté dans ma vie, dit Robert Charlebois, joint à Paris ce matin. Quand j'avais 16 ans, j'ai dû voir 40 fois son show, assis dans les coulisses, comme ça je pouvais mieux observer ses doigts sur le clavier.» À l'époque, Claude Léveillée était une immense vedette. «Il était au sommet de son art, mais il était venu manger à la maison et avait joué sur notre piano. Je n'ai jamais oublié cette soirée.» Les chanteurs qui s'accompagnaient au piano étaient rares pendant cette période, c'est pourquoi il a autant compté dans la carrière de l'auteur d'Ordinaire. «C'était un pianiste hors pair. Les plus beaux enregistrements de Frédéric, c'est quand il prend toute la place au piano, où l'accompagnement est très léger. Il m'a toujours dit qu'il était autodidacte, qu'il avait appris à l'oreille.» Plus tard, les deux hommes se sont côtoyés, fréquentés et ont participé à de nombreux projets, dont le célèbre spectacle 1x5. Il le voyait parfois depuis qu'il était diminué par la maladie, lui parlait au téléphone. «Pour le pianiste qu'il a été, ne plus être capable de jouer un do, ça devait être l'enfer sur terre. C'est une page de ma vie qui se tourne, un monument qui nous quitte. Il n'en reste plus beaucoup.»

- Robert Charlebois

Photo: PC

Robert Charlebois

«Claude Léveillée a été mon premier grand amour.» Louise Latraverse a connu Claude Léveillée au tout début des années 60, alors qu'ils jouaient tous deux dans La Côte de Sable, un téléroman de Marcel Dubé. Elle avait à peine 20 ans. «Claude était beau, séduisant, il était fait de lumière et d'ombre. Il a eu beaucoup de femmes dans sa vie, mais sa seule maîtresse, c'était la musique. C'était un artiste, un talent naturel, sa vie était centrée sur la musique, c'était ce qu'il y avait de plus important. D'ailleurs, il n'aimait pas le mot chansonnier. Il se voyait d'abord comme un musicien.» C'est Louise Latraverse qui a présenté Claude Léveillée à son frère Guy. «De fil en aiguille, il est devenu son agent. C'est comme ça que tout a commencé. Après il est devenu une vedette, il a connu Piaf mais il est revenu, nous étions follement amoureux.» Les femmes aimaient son côté ténébreux et étaient attirées par sa mélancolie, croit-elle. «Il a eu de la chance et jusqu'à la fin, il a été très entouré de femmes formidables. Mais c'était un solitaire, il aimait beaucoup la nature, et on ne pouvait pas débarquer chez lui comme ça.» Sa chanson préférée? «La légende du cheval blanc. Mais il en a écrit plusieurs pour moi, alors elles ont toutes une saveur particulière. C'était quelqu'un de très romantique.»

- Louise Latraverse

Photohèque Le Soleil

Louise Latraverse

C'est en 1963 que le disque Monique Leyrac chante Léveillée et Vigneault est lancé, et il changera le cours de la carrière de la jeune chanteuse. «Je connaissais surtout le répertoire français et je faisais très peu de scène, se souvient Monique Leyrac. Après ce disque-là, j'ai chanté partout.» Jusqu'en Russie, où le public appréciait particulièrement L'hiver, raconte l'interprète qui vit maintenant retirée du monde du spectacle. «Après ce disque, je ne pouvais plus revenir en arrière. Pourtant, les gens n'y croyaient pas au début. Mais ces chansons correspondaient à l'époque, celle des boîtes à chansons, il y avait un parfum d'indépendance dans l'air, et elles ont plu.» De son côté, elle appréciait particulièrement la poésie des textes, et les compositions de Claude Léveillée ravissaient la chanteuse. «C'était très mélodique, et pour une chanteuse qui chante, c'était extraordinaire, on pouvait se promener dans la chanson, monter, descendre...» Monique Leyrac n'a jamais été une intime de Claude Léveillée, qu'elle voyait comme un être «toujours au bord de la souffrance, qu'on avait peur de blesser». Que laisse-t-il comme héritage? «Je pense que sans lui, sans les boîtes à chansons, il n'y aurait pas de chanson québécoise telle qu'on la connaît maintenant. On ne s'en rendait pas compte à l'époque, mais aujourd'hui, je prends la mesure de son importance. C'était un pilier.»

- Monique Leyrac

Photo archives La Presse

Monique Leyrac

Paul Buissonneau a fondé le Quat'sous en 1955 avec Yvon Deschamps, Jean-Louis Millette et Claude Léveillée. Lui-même hospitalisé depuis quelques semaines, l'homme de théâtre était profondément ému aujourd'hui, mais a rendu hommage à son vieil ami avec sa verve habituelle. «C'est une journée triste mais aussi libératrice. Le Claude Léveillée écrasé dans sa son fauteuil roulant, ce n'est pas celui que j'ai connu, altier, fier, ce caïd du piano qui pouvait sortir un son extraordinaire de l'instrument le plus pourri! C'était un vrai artiste, qui avait une touche à la fois pop et classique, qui avait le sens de la musique et qui avait la force du piano, de ses bras. Quand il tapochait, c'était pas à côté de la track, il sortait toujours exactement le son qu'il voulait sortir.» Paul Buisonneau a toujours admiré le musicien et comédien autodidacte, ce talent naturel qui avait «de la graine de génie». Il s'amuse aussi à raconter que c'est son ex-femme, lors d'un souper dans leur appartement de la rue Saint-Hubert, qui la première a parlé de Claude Léveillée à Édith Piaf. Ce soir-là, ils sont partis voir les Bozos, Piaf a ensuite contacté Claude Léveillée. «C'étaient de belles années, on a eu du plaisir. Oui, mes amis me manquent beaucoup. Mais il faut s'y faire.»

- Paul Buissonneau

Le Soleil, Martin Martel

Paul Buissonneau

Parce qu'elle est pianiste et chanteuse, on associe Catherine Major à Claude Léveillée, et elle a souvent été appelée à interpréter ses chansons. «C'était un grand musicien même s'il était autodidacte. Il avait une manière de faire voler les chansons qui est inspirante. On voit qu'il essayait d'aller toujours plus loin harmoniquement. Ses chansons ont toujours été composées au piano et ça leur donne une autre dimension.» Au-delà du grand mélodiste capable de grandes envolées et de valses endiablées, Claude Léveillée était aussi un interprète exceptionnel, ajoute la jeune femme, qui regrette de ne l'avoir jamais rencontré. «Il avait une âme, il était vrai et naturel. Il était là pour être devant, avec son répertoire. Il était vraiment dans une classe à part.» Claude Léveillée, croit-elle, laisse de magnifiques chansons qui traverseront le temps. «Son influence fait partie de nous. Au-delà du métissage et des arrangements, une chanson reste une chanson, et elle doit se défendre toute seule, piano-voix. C'est ce qui reste de lui, et j'espère que les gens continueront à défendre ses chansons.»

- Catherine Major

Archives La Tribune, Frédéric Côté

Catherine Major

«Pour une interprète, la musique de Claude Léveillée permettait de s'exprimer beaucoup, parce que c'était très musical, lyrique, grandiose, se souvient Renée Claude. Il avait un son et ce qu'il faisait ne se comparait à rien. Il m'a déjà dit qu'il était un esthète, et c'est vrai, il aimait la beauté. Lui-même, avec son foulard blanc, il avait un côté noble, il aimait le décorum. Même si c'était quelqu'un de simple, il était un peu comme un prince.»

- Renée Claude

Photothèque Le Soleil

Renée Claude