Musicien tributaire de Django Reinhardt, cet initiateur du jazz manouche vénéré par ses dignes représentants, le guitariste tzigane Stochelo Rosenberg est peut-être le plus éminent djangologiste vivant. À ce titre, moult spécialistes affirment qu'il est au sommet de cette esthétique, sommet qu'il partage avec son collègue et ami Biréli Lagrene.

Le 5 juin, à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, les amateurs de jazz manouche auront l'occasion de voir et entendre ces deux grands maîtres du style, auxquels se joindront les cousins de Stochelo (Nonnie, contrebasse et Nous'Che, guitare rythmique), le saxophoniste américain James Carter, le multi-instrumentiste Koen De Cauter, le violoniste Tim Kliphuis, de même que deux artistes montréalais -le guitariste Denis Chang et la chanteuse Dorothée Berryman.

Une question demeure lorsqu'on s'apprête à assister à un concert de jazz manouche: qu'y a-t-il de vraiment neuf depuis la mort de Django? Pourquoi cette impression de long fleuve tranquille?

«La forme a évolué», assure Stochelo Rosenberg, joint sur la route qui le mène à l'aéroport d'Amsterdam. Le musicien a la nationalité néerlandaise et vit avec sa famille dans un campement tzigane... ce qui ne l'empêche pas de prendre l'avion!

«De jeunes musiciens mélangent le style moderne dans le jazz manouche, fait-il observer. Ça a commencé par Biréli dans les années 80. Beaucoup de musiciens s'en sont inspirés et ont poursuivi le travail. Rocky Gresset est un bon exemple.»

Effectivement. Les connaisseurs du genre ont déjà identifié une meute entière de jeunes loups à l'instar de Gresset, qu'ils soient manouches ou gadjos (non tziganes): Adrien Moignard, Sébastien Giniaux, Noé Reinhardt, Richard Manetti, pour ne nommer que ceux-là.

«Certains musiciens des jeunes générations, déplore néanmoins le maître Rosenberg, ont copié leurs aînés. Si tu veux jouer ce jazz manouche, il te faut commencer par Django Reinhardt... et réaliser qu'il a lui-même changé tout au long de sa vie. Certains puristes n'écoutent que le quintette du Hot Club de France - avec Stéphane Grappelli.

«Or, si tu observes ce qu'il faisait jusqu'à 1936, c'est très différent de ce qu'il a joué entre 1936 et 1948 et de ce qu'il a créé jusqu'à sa mort prématurée en 1953. Si Django avait vécu longtemps, il serait devenu encore plus moderne. Alors oui, je trouve dommage que des musiciens de jazz manouche restent bloqués dans une époque précise du genre. Jouer le style de Django n'empêche pas d'évoluer.»

On comprendra que Stochelo admet être tribuaire d'une tradition sans se considérer parmi les dogmatiques de cette tradition. Djangologiste modéré, en quelque sorte. Pour le virtuose, l'identité n'en demeure pas moins fondamentale.

«Un guitariste qui n'a pas d'identité, ce n'est pas terrible. Tant de guitaristes de jazz sortent des conservatoires et ne font que jouer le même style. Ça reste académique, quoi. Le vrai jazzman doit avoir une identité propre», tranche-t-il avant d'expliquer ce qu'il propose.

«J'ai été inspiré par d'autres genres comme le flamenco, la rumba ou la musique brésilienne, ç'a marqué ma façon de composer et de jouer. À l'âge de 16 ou 17 ans, j'ai compris qu'il ne fallait pas rester collé sur Nuages ou Minor Swing

Or, ce n'est pas tant la composition qui impressionne chez Stochelo que son immense virtuosité et la singularité de son interprétation. La précision de son phrasé, remarquable en haute vélocité, le maintient dans le peloton de tête de ces artilleurs de guitare acoustique à cordes de métal, ces fameux modèles de marque Selmer imaginés par Maccaferri dans les années 30 -et dont moult luthiers s'inspirent pour servir les guitaristes de jazz manouche.

«J'ai toujours cherché à jouer net, résume Stochelo. J'essaie toujours de ne pas cacher des notes, j'aime les phrases jouées clairement. Ça vient de Django, en fait. Toute ma jeunesse, j'ai copié ses chorus et solos, j'ai cherché la même perfection. Mais ça ne se produisait pas, car il était le meilleur.»

Une fois de plus, force est de constater qu'un grand guitariste manouche de 2011 n'oserait pas commettre le sacrilège de se mesurer au génie fondateur.

On apprendra en outre que le Trio Rosenberg joue régulièrement avec Biréli Lagrene et parfois avec le saxophoniste afro-américain James Carter - notamment au fameux festival de Samois-sur-Seine, là même où vivait Django.

«Sa participation est intéressante, car elle contribue à moderniser le style manouche.»

La djangologie ne s'en portera que mieux...

Le Trio Rosenberg, à la salle Wilfrid-Pelletier le dimanche 5 juin, à 17h, dans le cadre d'un concert bénéfice pour l'Orchestre de chambre McGill.