Avec sa pochette de bal rétro et la photo en arrière sur laquelle il prend une pose à la Chuck Berry, Raphael Saadiq ne laisse aucun doute sur son admiration pour l'âge d'or de la pop afro-américaine. Apôtre du rhythm&blues, Saadiq frappe à nouveau dans le mille avec son nouvel album, Stone Rollin', un pont entre les époques.

«Je ne voulais même pas qu'on me voie sur la pochette du disque», dit Saadiq, attrapé au volant près de chez lui, en Californie.

Il a toujours été comme ça, Saadiq. Un type discret qui ne court pas les projecteurs, bien que l'auteur-compositeur-interprète, aussi reconnu pour son travail de réalisateur (D'Angelo, Erykah Badu, Joss Stone, John Legend, etc.), assure adorer la scène. «J'aime tous les aspects du métier, du travail de composition au studio, en passant par la scène. Être un artiste, c'est tout ça.»

«Je crois être exactement là où je dois être, à l'âge que j'ai», réfléchit à haute voix Saadiq, à qui on s'est permis de souhaiter un bon 45e anniversaire (c'était le 14 mai dernier). «Je fais le boulot que j'aime, je fais la musique que je veux, je crois que ma carrière continue de prendre de l'expansion. J'étais déjà satisfait de mon parcours dans l'industrie de la musique, mais là, cette liberté, c'est la cerise sur le gâteau. Ravir l'auditoire que j'ai rassemblé tout en gagnant de nouveaux fans, c'est tout ce qu'on peut demander.»

Saadiq a toute une carrière derrière lui - pas parce qu'il vieillit, parce qu'il a commencé jeune. Leçons de basse dès l'âge de 6 ans, chorale gospel à 10, une première vraie expérience professionnelle tout juste à 18 ans, en tant que choriste pour Sheila Easton qui tournait en première partie de Prince.

Aux yeux du grand public, cependant, Saadiq s'est révélé avec le trio r&b/New Jack Swing Tony! Toni! Toné! au milieu des années 80. Déjà, dans les ballades du trio familial (formé avec son frère et son cousin), on voyait se pointer plusieurs révérences devant l'héritage soul et r&b de Motown et consorts qui, quelques années plus tard, allaient baliser sa brillante carrière solo. Laquelle a atteint un nouveau sommet avec The Way I See It en 2008, récoltant trois nominations aux Grammy Awards.

Ce Stone Rollin' - cet autre clin d'oeil rétro n'aura ici échappé à personne - a été composé en pensant à la scène, dit Saadiq. «Se tenir devant tous ces gens chaque soir, toute l'énergie qui se dégageait des concerts que j'ai donnés en appui à The Way I See It, j'avais envie de retrouver ça sur disque.»

Vernis vieux rock'n'roll

Ce qu'on retrouve, surtout, c'est un vernis vieux rock'n'roll qui donne un éclat inédit à la proposition soul et r&b habituelle du musicien, qui a enregistré plus de la moitié des chansons tout seul. Batterie, basse, guitares, claviers, Saadiq fait tout, avec l'occasionnel coup de main d'amis, et pas les moindres: l'as guitariste Robert Randolph, le bassiste Larry Graham (sur la chanson cachée) et l'organiste Larry Dunn, de Earth, Wind&Fire. «Je compose en studio, avec ce qui me tombe sous la main. Je lorgne un instrument, j'expérimente, j'avance au flair.»

Contrairement au clan Daptone de Sharon Jones&The Dap Kings, Saadiq n'est pas un fétichiste des années Motown, encore moins avec la sortie de Stone Rollin'. Les compositions sont fidèles à l'époque, mais le jeu exprime la personnalité du musicien, ses arrangements décalés - surtout ceux à base de claviers et de cordes - qui insufflent de la modernité à ces formes classiques de la pop afro-américaine.

«Bien sûr que je suis familier avec tout le répertoire des années 60 et 70, mais je ne me préoccupe pas de savoir si ça ressemble, ou si ça évite de ressembler, à ce qui s'est fait avant, explique-t-il. Prends un joueur de basket comme Kobe Bryant - ou, tiens, un hockeyeur comme Wayne Gretzky. Ces gars-là ont étudié le jeu, ils ont tous regardé des cassettes des grands de leur discipline. C'est la base, la fondation, pour devenir un grand athlète. Ces gens-là sont devenus des stars grâce à ça, mais aussi parce qu'ils ont appris à développer leur style. La musique, c'est pareil.»

«Je fais partie d'une scène, je joue un type de musique, j'ai compris les fondations de ma musique. Je ne suis pas Smokey Robinson, je ne suis pas Marvin Gaye, je ne suis pas Sam Cooke. Je fais de la musique comme eux, mais à ma manière.»

Et de la sacrée bonne en plus.