Après une présence remarquée au festival Vue sur la relève, qui lui donnera l'occasion de jouer aux FrancoFolies au mois de juin, voici qu'Alecka sort son premier disque éponyme, réalisé par son frère Chafiik, de Loco Locass. Sur des textes coécrits avec sa mère, l'auteure d'origine libanaise Abla Farhoud.

Elle parle de ce premier album comme d'une renaissance. À 31 ans, le parcours d'Alecka était peut-être tracé d'avance. Mais il y avait apparemment beaucoup d'arbres qui cachaient la forêt. Après des études en cinéma, elle a songé à s'orienter en théâtre, comme comédienne. Mais le jour de ses auditions dans une école de théâtre, elle est tombée malade.

C'est sa mère qui a flairé le mal-être. «Tu ne réalises pas que t'as choké?» lui a-t-elle lancé quelques jours après. Ç'a été le début d'une longue réflexion pour cette fille noctambule, qui a longtemps vagabondé avant de se lancer dans l'aventure musicale, avouant avoir échappé à une spirale autodestructrice. «Je n'étais pas heureuse, dit-elle. Je travaillais comme serveuse, je sortais, je me cherchais, j'avais peur de me lancer, d'échouer.»

«Un jour, raconte Alecka, c'était en 2005, je lisais un numéro d'Elle Québec, et je suis tombée sur un article qui parlait de Loco Locass; plus loin, il y avait un autre texte sur ma mère, qui venait de remporter un prix littéraire. Et à la toute fin, un texte sur Martha Wainwright, qui expliquait que ça lui avait pris 10 ans avant de faire un disque, elle qui était la petite dernière d'une famille de musiciens. Je me suis dit: si elle est capable, moi aussi! J'ai acheté son album, j'ai repiqué une de ses chansons, Bloody Mother Fucking Asshole, et tout est parti de là!»

C'est depuis ce jour, nous dit-elle, qu'elle a «foncé la tête haute». Elle s'est acheté une guitare, a suivi des cours, puis a commencé à composer des chansons. Du folk, mais avec des rythmes reggae, et aussi du rap. Consacrée à Petite Vallée en 2007 avec sa chanson Choukran (merci, en arabe), elle s'est enfin mise à plancher sur son premier disque, tout en offrant de belles performances sur scène, faisant même la première partie de Ben l'oncle Soul l'hiver dernier.

Mère et frère mis à contribution

C'est son frère Chafiik qui lui a tendu la main, après Petite Vallée. «Je veux le faire, ton disque, lui a-t-il dit. Je veux être sûr d'aimer ton album! Honnêtement, confie Alecka, il a mis tout son coeur, son talent, son énergie, sa générosité dans ce projet. Comme si c'était son propre disque. C'était vraiment super de travailler avec lui.»

Les textes, eux, ont été coécrits avec sa mère, Abla Farhoud. Mais qui a écrit quoi?

«Difficile à dire, répond Alecka. On a vraiment travaillé ensemble, face à face autour de la table de sa cuisine, explique-t-elle. Elle écrivait une première ligne, je poursuivais. On écrivait un couplet et un refrain. Après, je composais la musique, et puis on complétait les textes. Mais dans cette relation, ma mère n'était pas ma mère, c'était une artiste. Cette période correspondait aussi pour elle à un blocage artistique total. Elle n'arrivait plus à écrire. On retrouve aussi ça dans les textes.»

Et qu'a-t-elle appris de sa mère au cours de ce processus créatif? «De ne pas me forcer à écrire des belles phrases, répond-elle. De trouver la vérité de l'émotion, quitte à employer des mots crus, quitte à sacrer. D'aller au plus simple.» Quant à son père, le percussionniste Vincent Dionne, elle ne se cache pas d'avoir eu besoin de ses encouragements pour aller de l'avant. Comme, d'ailleurs, du soutien de ses amis.

Ses 11 chansons parlent de cette renaissance, incarnée par le printemps, de ses craintes, ses angoisses, son identité. Un album personnel, donc, qui explore plusieurs avenues musicales: chanson française, folk, rock et même un rap (sur une musique composée par Chafiik). On sent bien qu'elle n'a pas voulu se cantonner dans un style. «C'est vrai, dit-elle, mais ce n'était pas volontaire... C'est un premier album, on verra comment ça évoluera. Mes nouvelles chansons ont un côté plus folk country!»

Sa voix, elle, est la même, reconnaissable entre toutes: rauque et grave. «J'ai dû apprendre à accepter ma voix, dit-elle. On s'attend toujours à ce qu'une fille ait une belle voix, qu'elle ait un trémolo. C'est ce que je voulais, moi aussi. Mais j'ai la voix que j'ai. Je n'ai pas beaucoup de range. Et j'ai dû m'adapter. J'ai suivi des cours de chant qui m'ont beaucoup aidée, que je vais d'ailleurs poursuivre.»

Quand on lui demande de qualifier sa musique, elle hésite avant de répondre: «Un mélange de Jacques Brel, Jean Leloup et Supertramp! Brel pour l'intensité et la franchise de mes textes; Leloup pour les mélodies, très rythmées; et Supertramp pour son côté festif... et parce que j'ai vraiment trippé sur eux! Mais ce n'est pas à moi de me décrire...» Une tournée suivra à l'automne, ce qui nous donnera l'occasion de la voir sur scène.