Quelques degrés Celsius de plus, et on se serait déjà cru en plein Festival de jazz. En ce début de tournée promotionnelle pour la sortie de son nouvel album, la chanteuse new-yorkaise Sharon Jones ramenait en ville la douzaine de musiciens de son splendide orchestre The Dap Kings, cette fois au Métropolis. Voyage au coeur de l'âge d'or de la musique afro-américaine, trip r&b/soul/funk rétro totalement assumé et, surtout, toujours apprécié.

Oui, Sharon Jones et ses Dap Kings sont des fétichistes. Jusqu'au bout des manches de guitares, jusqu'aux refrains des compositions originales parfois «empruntés» au répertoire classique. Fermez les yeux, on se croirait au mythique Apollo Theatre de Harlem, à une autre époque, évidemment.

Les trois cuivres, les deux choristes - les «Dapettes», rien de moins -, les trois guitares, le batteur et les percussionnistes, sapés comme au temps du Soul Train, faisant passer leurs compositions originales pour de purs classiques du catalogue Motown ou de celui de Stax Records. Dans la foule, au vu des belles robes d'été, il y avait aussi quelques fans vraisemblablement obsédés par le son soul et r&b des années'60.

Avec ses quatre albums au compteur, dont le tout récent I Learned The Hard Way, et ceux des camarades de l'étiquette Daptone Records (son petit Motown moderne à elle), Sharon Jones occupe une case à part dans l'univers de la pop. Avec les codes et les références d'antan, elle ravive la flamme du bon vieux r&b, sans nostalgie poussiéreuse cependant, c'est là tout un exploit. Il ne s'agit pas de se lamenter sur le bon vieux temps, plutôt de célébrer la richesse de ce genre musical.

Il y a la performance musicale en soi, puis le protocole autour. Sharon Jones, ex-gardienne de prison qui libère aujourd'hui les âmes avec sa voix rugissante, amène son cirque soul avec le décorum d'un James Brown. Ça commence au comptoir à produits dérivés, serti de piles de disques vinyles et de singles 45 tours.

Lorsque l'orchestre The Dap Kings prend place sur scène, Jones est encore loin derrière. Après deux compositions instrumentales, le premier guitariste joue les maîtres de cérémonie comme le faisait Danny Ray lors des concerts de James Brown, en réchauffant la foule d'un ton qui en impose. Il nous présente, l'une après l'autre, les deux Dapettes, qui viennent pousser la note avec prestance. Puis il introduit le programme de la soirée par un très court pot-pourri des succès de la «Super Soul Sister».

Qui finit par arriver sur scène, enfin, esquissant quelques mouvements de hanche faisant voler les paillettes de son élégante robe noire. Applaudissement nourris des fans, qui emplissaient aux deux-tiers seulement le Métropolis. Tant mieux, ça nous laisse plus de place pour danser.

L'orchestre est à l'image de cette foule: multigénérationel. À côté d'un batteur d'environ 25 ans, un percussionniste d'expérience qu'on croirait être le comptable de Daptone Records dans son veston serré. L'orchestre joue avec flegme et dynamisme, même si nous aurions pris plus de basses, plus de volume, dans le son.

Sharon Jones n'est pas la plus charismatique des performers, mais sa voix, juste, autoritaire, très bluesée, suffit à garder notre attention pendant les presque deux heures de pur bonheur funk et soul que durera le concert, fait des nouvelles de ce disque paru début-avril et des hits, How Do I Let a Good Man Down?, New Shoes, Window Shopping, Better Things et autres pures bombes. On en ressort en se disant que l'été n'arrive jamais trop tôt.