Au début du siècle, dans sa banlieue d'Oshawa, en Ontario, Taylor Kirk a bricolé seul un album de ballades folk tristes à pleurer. Puis un deuxième, l'année suivante. Le troisième, éponyme, lancé en 2009 chez Arts & Crafts, fut le bon: le disque a touché et converti nombre de mélomanes et l'a mené sur les scènes d'Europe et des États-Unis. Désormais entouré de deux musiciens, Kirk appelle Timber Timbre son groupe, Montréal, son cocon et le spleen, son univers.

Ce n'est pas Bon Iver à qui on l'a souvent comparé, ce n'est pas non plus une version masculine d'Anna Calvi (elle serait plutôt son pendant féminin), ni un Tom Waits après une opération aux cordes vocales. C'est, tout simplement, Timber Timbre, et posséder si tôt une personnalité musicale aussi intense, c'est déjà beaucoup.

Le travail de Timber Timbre est à la fois immédiatement reconnaissable et difficile à décrire. Un mélange unique de vieux blues et de ballades folk, de doo-wop et de guitare twang très fifties qu'on entend résonner partout même lorsqu'il n'y a que du piano et du violon dans la chanson.

«J'écoute beaucoup de musique des années 50, et encore plus lorsque j'ai composé ce nouveau disque, explique Taylor Kirk. C'est pourtant une coïncidence si ma musique porte ces traces. Je me suis plutôt inspiré du vieux folk américain qui me fascinait à la naissance du projet. Du très vieux folk, les anthologies du Smithsonian, des enregistrements historiques. Je suis parti de là, puis j'ai retracé l'histoire de la musique populaire américaine... en passant par le vieux rock'n roll et le doo-wop.»

Une musique désespérément romantique, chaleureusement pathétique, habitée par sa voix claire et retenue qui commande l'attention de l'auditeur. «Quand j'ai commencé à chanter, j'émergeais de quelque chose de sombre. Ça n'allait pas très bien dans ma vie personnelle. Mais il y a un peu de mimétisme dans la façon de chanter. J'imite les vieux chanteurs blues et gospel...»

Au bout du fil, Taylor est d'un calme saisissant. Il réfléchit à voix haute en pesant chacun de ses mots. Ainsi, on l'imagine travailler à la manière d'un moine, éclairé à la chandelle, pondant, à la guitare ou au piano, les mélodies et les textes. Pas le genre à composer cinquante chansons pour n'en choisir qu'une dizaine et faire un disque.

Son collègue, le guitariste Montréalais Simon Trottier, a été parmi les premiers à être enchanté par la musique de Kirk. Il avait partagé la scène avec ce dernier à Montréal, alors qu'il évoluait au sein du groupe post-rock instrumental White Noise Ensemble. Kirk donnait des concerts seuls sur scène, avec sa guitare, à ses débuts.

«J'avais entendu ses chansons sur MySpace, lui ai écrit un courriel en l'invitant à donner un concert à Montréal, en première partie de White Noise Ensemble, raconte Trottier. Il est arrivé seul, avec sa guitare et sa pédale de loop. On a commencé à être amis, il m'invitait à Toronto. De fil en aiguille, j'ai fini par l'accompagner.» À Toronto, Kirk se faisait accompagner d'une violoniste, Mika Posen. «On s'est rencontrés sur scène pour un concert de Timber Timbre!».

«Je me sens bien, à Montréal», renchérit Kirk. Le nouvel album est un effort de groupe: la plume de l'Ontarien, le raffinement orchestral de ses collègues - la pièce instrumentale Swamp Magic est sans doute le signe le plus tangible de l'apport de Trottier dans le projet, et confère aux chansons vaporeuses de Timber Timbre une dimension encore plus cinématographique que sur les précédents efforts.

«La musique de film m'intéresse, abonde Taylor. À vrai dire, lorsque je songeais à l'idée de faire une carrière en musique, c'était comme compositeur de trame sonore. Beaucoup plus que dans un contexte de groupe de rock, disons. Je suis un autodidacte de la musique, mais j'ai étudié les arts en général, et le cinéma en particulier. Je crois que ça se reflète dans ma façon d'écrire; je ne suis pas un grand raconteur d'histoires, l'influence est davantage dans la manière de décrire, dans le regard que je porte.»

Un regard torride et sensible, qui touche une corde sensible auprès du public. Écouter Timber Timbre, c'est l'adopter.

«J'admets que le fait d'avoir enfin été découvert a influencé mon approche de l'écriture. C'était la première fois que je composais en réalisant que mon travail serait «consommé» par beaucoup de gens. C'est à la fin du mixage de l'album que ça m'a frappé, j'ai commencé à me demander ce que les gens allaient penser de l'album! Ça change de l'époque où je chevauchais mon vélo avec ma boîte de disques pour aller les déposer chez les disquaires indépendants.»

Timber Timbre, en spectacle ce soir, à 20h30, au Corona.