La légende de la «protest song» Bob Dylan, qui contestait dans les années 1960 la légitimité de la guerre américaine au Vietnam, s'est produit dimanche pour la première fois dans le pays communiste, où nombre de jeunes n'ont jamais entendu parlé de lui.

Les Vietnamiens de moins de 35 ans, majoritaires dans ce pays très jeune, n'ont pas connu la guerre et beaucoup ignorent tout de l'auteur de «Masters of war», qui aura 70 ans en mai.

Nombre d'entre eux ont malgré tout assisté dimanche soir parmi les 5000 à 6000 spectateurs au concert d'Ho Chi Minh-Ville, ville très occidentalisée dopée par une croissance économique à deux chiffres.

Le spectacle «nous a vraiment plu», a déclaré Quan, banquier de 29 ans, en quittant les lieux avec ses amis.

La tournée du chanteur américain, qui célèbre le 50e anniversaire de son premier concert, le 11 avril 1961, l'a déjà emmené à Pékin mercredi, puis Shanghai.

Mais comme dans la capitale chinoise, Dylan, qui avait accepté de se soumettre à la censure de Pékin, s'est abstenu de chanter dimanche ses titres les plus évocateurs, dont le célèbre The Times They Are A-Changin. «L'ordre se flétrit rapidement, Et le premier aujourd'hui sera bientôt le dernier», dit la chanson.

Ou le mythique Blowin' in the Wind («Et combien d'années un peuple peut-il vivre, Avant d'être autorisé à être libre?»).

Une porte-parole vietnamienne des Affaires étrangères avait indiqué avant le concert d'Ho Chi Minh-Ville ne pouvoir confirmer si son répertoire passerait sous les fourches caudines de la censure. Mais l'organisation Human Rights Watch, elle, n'en doutait pas et avait jugé que l'artiste devrait «avoir honte».

«Le jeune Dylan n'aurait pas laissé un gouvernement lui dire ce qu'il doit chanter», avait insisté Brad Adams, son directeur Asie.

Chapeau blanc, costume noir et chemise rose, le musicien à la voix nasillarde n'a fait aucun commentaire sur le Vietnam ni sur la signification de sa présence dans ce pays.

«Certaines de ses chansons me font penser à ce que ma famille m'a raconté sur la guerre», a commenté Hoang Quoc Tuan, 37 ans, qui a découvert Dylan pendant ses études en Grande-Bretagne.

«Le sens est difficile à expliquer, c'est comme un oncle qui vous raconte, depuis l'autre côté», a ajouté celui qui se décrit comme un «grand fan» de l'Américain.

«Il a été une inspiration pour Trinh Cong Son,» a souligné de son côté Tru Hong Ngoc, étudiante de 20 ans.

Connu comme le «Dylan vietnamien» pour ses hymnes à la paix et son refus de choisir son camp avant 1975, Trinh Cong Son est mort il y a tout juste dix ans et des chanteurs lui ont rendu hommage en chantant certaines de ses oeuvres en ouverture du concert de l'Américain.

La presse officielle a d'ailleurs préféré célébrer sa mémoire que la première venue de Dylan.

Si Dylan a fédéré une génération en conflit avec l'autorité, ce débat-là ne se pose pas dans le Vietnam communiste, où le dernier intellectuel à avoir réclamé le multipartisme vient d'être condamné à sept ans de prison.

Le concert de l'Américain succède à celui de Backstreet Boys, un «boys band» des années 90 qui a attiré jusqu'à 30 000 personnes. Bien plus que celui de Dylan.