Olivier Alary a un parcours peu commun. Français déraciné passé par Londres et New York avant d'échouer ici, architecte débauché en «artiste sonore», il a lancé un album sur le label d'Aphex Twin, collaboré avec Björk et Cat Power et composé la musique du prochain film de Maxime Giroux (Jo pour Jonathan). Aujourd'hui, il lance Excerpts, le troisième album de son projet musical baptisé ensemble.

Le rendez-vous est donné dans un petit café caché dans un immeuble industriel aujourd'hui reconverti en studios d'artistes. Alary, qui répète tout près, préparait alors sa rentrée sur scène au Il Motore. En concert, l'orchestre est composé de la chanteuse Darcy Conroy, d'un duo de cordes, de claviers, et le compositeur. «Pas de batteur, que des séquences», explique Olivier Alary devant son thé.

Des rythmes préprogrammés pour soutenir la riche chanson symphonique d'Excerpts? Contrainte logistique, certes - on ne déménage pas aisément un orchestre classique et une formation rock pour un seul concert - mais aussi un retour aux sources.

En 2000, sous le nom «ensemble» (avec un «e» minuscule, insistait son gérant), Alary lançait un premier disque, Sketch Proposals, sur l'étiquette Rephlex du compositeur électronique Richard D.James, dit Aphex Twin. Question de fan curieux à quelqu'un l'ayant côtoyé: il est comment, son char d'assaut, à Aphex Twin? «Petit. Un tank, mais sans les chaînes, avec des pneus, tout petits. Mais il a bel et bien un canon!»

Tout de même étrange que, pendant presque dix ans, soit passé inaperçu, ici, un type ayant frayé avec la crème de l'électro britannique - et locale, «mes premiers contacts avec la scène montréalaise, c'était Alain Mongeau (patron de MUTEK), Éric Mattson (Oral0, Akufen, Deadbeat» -, et qui, grâce à ce premier album, a ensuite été recruté par Björk.

«On m'avait conseillé de lui envoyer mon disque, raconte-t-il. Je lui ai envoyé une jolie lettre manuscrite, sans attendre de réponse.» L'Islandaise a vraisemblablement aimé son électro précieuse, l'invitant d'abord à remixer Cocoon (de Vespertine), puis à collaborer à l'écriture de Medulla (la chanson Desired Constellation). Il venait alors de s'installer à Montréal, au tournant du siècle.

Contact déterminant pour la suite de l'histoire que celui avec mademoiselle Gumundsdóttir: «C'est elle qui m'a donné envie de poursuivre dans cette voie», abonde Alary, qui s'imaginait plutôt concepteur sonore et artiste-performeur contemporain, une direction peut-être plus en phase avec sa formation d'architecte.

Après les cours en art sonore à Londres, cependant, il choisit de mettre le cap sur New York. «Très naïf, à l'époque, je suis arrivé sans visa de travail, sans rien. Une connaissance m'a alors recommandé Montréal - pour moi, c'était loin, je n'avais aucune idée de ce qu'était cette ville.» On devine la suite: il tombe en amour avec la ville, puis avec l'une de ses citoyennes devenue depuis son épouse...

La sortie, sur Fat Cat cette fois, d'un deuxième album (Disown, Delete), l'amène alors à collaborer avec Cat Power et Lou Barlow. «J'ai continué à travailler sur d'autres projets, mais j'avais du mal à vendre mes idées aux labels que j'approchais.» Par nécessité d'abord, comprend-on, puis par authentique passion, Alary se tourne vers la musique de film. Une manière d'aborder la musique qui transpire sur Excerpts.

«J'aime le médium, j'aime ces compositeurs géniaux, un John Barry, par exemple.» Tout au long de l'entretien, Alary cite tantôt Morricone, évoque Miles Davis, rappelle d'obscures figures de l'électro anglaise et de la musique de films français. Et Barbara: «Ce que j'aime de la scène ici, c'est que les artistes qui s'expriment en français ne traînent pas le lourd héritage de la chanson de France, comme les Français. Je suis fier de dire que mon dernier disque n'a pas l'influence de Gainsbourg, par exemple. En France, c'est un poids! En fait, je crois qu'on y sent davantage le spectre de Barbara, disons».

«C'est à Montréal que j'ai eu envie d'écrire en français», ajoute Alary, qui signe un disque bilingue et transgenre, tantôt chanté par la musicienne Darcy Conroy, tantôt par lui-même. D'une voix réservée, calme, mais affirmée. À son image, intello et discret. Est-ce pour ça qu'il nous a fallu tant de temps pour le découvrir? «Oh! , je crois que c'est une question de labels et de promotion, répond-il. Aujourd'hui, j'ai un gérant pour s'occuper de tout ça...»