Ah, ça ira, ça ira, comme dit la chanson des Breastfeeders. Crier à tue-tête, jouer les héros de la guitare, peindre avec son sang le mur du son rétro, c'était drôle sur disque et ce l'est encore sur scène. Mais le groupe a soif d'autre chose, comme le prouve son troisième album, Dans la gueule des jours, fait de pop yé-yé, d'arrangements soignés et d'espace pour respirer.

Au café, on retrouve Luc Brien le nez plongé dans un livre sur la guerre. «J'ai lu beaucoup sur l'histoire de la Deuxième Guerre», explique-t-il. Le livre fait partie de la collection Time. «Mon père avait toute la collection - je me souviens de cette photo de Goebbels! En plus de l'histoire, c'est l'objet qui m'intéresse.» L'amour du vintage, du rétro, des bonnes vieilles affaires, ce n'est pas qu'une direction musicale pour le chanteur et guitariste des Breastfeeders: c'est un mode de vie.

Le groupe revendique toujours ses influences rock sixties et seventies, mais insuffle, sur ce nouvel album, une énergie bien contemporaine, et beaucoup mieux maîtrisée. «J'aime chacune des chansons de notre deuxième album, abonde Luc, mais mises bout à bout, c'est une job à écouter.»

Les Breastfeeders, dont l'ascension s'est faite dans l'acharnement, sentaient le besoin de prendre son temps avant de retourner en studio. De se donner le temps de réfléchir. «Quand on a arrêté la tournée en 2008, on a eu une réunion avec (leur label et management) Bonsound. Ça ressemblait à: «Bon, là, faudrait que tu composes une quinzaine de nouvelles chansons, on pourrait rentrer en studio en janvier et lancer ça à temps pour la saison des festivals de 2009...»»

Minute moumoute. Le groupe avait roulé sans s'arrêter depuis 2004. «On voulait deux choses: du temps pour retoucher nos affaires et un réalisateur pour nous aider à faire ce qu'on avait envie, c'est à dire un disque pas trop saturé, plus aéré.»

C'est Adrian Popovich (ex-Tricky Woo) et Joseph Donovan (ex-The Dears) qui ont été mandatés pour réaliser l'album, eux qui avaient accepté ce mandat pour Xavier Caféïne et Sam Roberts. Dans la gueule des jours est le plus varié des albums des Breastfeeders, le plus soigné, sur le plan de l'écriture («plus humaine, plus poétique», abonde Brien) comme des arrangements. «Aussi, Suzie (McLelove) a beaucoup composé sur ce disque, et ça paraît. Ses chansons sont très bonnes.» Elle est aussi derrière la seule «commande» du disque: Manteau de froid, composée par le musicien et artiste visuel français Étienne Charry, ancien complice de Bertrand Burgalat et son label Tricatel.

Les ballades sont encore plus suaves, mais les chansons qui rockent sont toujours aussi percutantes. Tout est dans le dosage et le désir d'explorer autre chose... et de mettre à profit sa grande expérience.

«On est un vieux band!» lance Luc Brien. Après plus de 10 ans d'activité, les Breastfeeders se qualifient sans doute ainsi... «Malajube aussi commence à être un vieux band. Ils en sont rendus à quoi, quatre, cinq albums?». La Caverne, attendu ce printemps, sera leur quatrième. Les Breastfeeders, eux, ont lancé jeudi dernier leur troisième, Dans la gueule des jours.

Que deux groupes désormais vétérans de la scène rock locale lancent les albums les plus attendus de la saison en dit un peu sur le dynamisme de notre scène. Et la relève, elle est où?

«On remarque beaucoup de groupes francos qui chantent en anglais», relève le chanteur et guitariste. «Je n'écoute pas énormément les nouveaux disques qui sortent, mais je vais voir beaucoup de spectacles. J'ai l'impression qu'il manque de groupes de party, qui font de la musique qui brasse.»

De l'énergie, les Breasts en ont à revendre. Ils n'avaient pas lancé d'album en cinq ans, pas tourné en presque trois ans, mais on recherchait encore leur rock garage accrocheur, aux Francos l'été dernier, presque en tête d'affiche de l'Autre Saint-Jean, et à la programmation spectacle des Jeux olympiques de Vancouver, où le groupe s'est fait remarquer pour une bien triste raison: une bouteille d'eau lancée en plein visage du chanteur.

«Ce qui est drôle, c'est que l'événement a été mal interprété, explique Brien. Les gens nous disaient: Ah! les osties d'Anglais... Ce n'était pas une question de langue, mais une question de musique. Les gens attendaient le DJ Deadmaus depuis 12 heures sur le site, et ils commençaient à être soûls... C'était pas notre public. Disons qu'on était une bonne cible. L'incident ne m'a pas marqué, par contre. Je pensais alors à Brian Setzer: à l'époque des Stray Cats, il avait reçu une bouteille de bière en concert à Paris. Il avait le visage tout ouvert et en sang, mais il avait quand même fini le concert...»

Les Breastfeeders, Dans la gueule des jours, Blow The Fuse