Un peu plus de trois ans après avoir dit au revoir à Las Vegas, Céline Dion remontera mardi soir sur l'immense scène du Colosseum que lui a construit le Caesars Palace. Avec son équipe, elle a préparé un spectacle qui lui ressemble davantage, à la fois classique et moderne, dans lequel elle ose s'approprier des chansons immortelles.

Remonter sur scène moins de cinq petits mois après avoir donné naissance à des jumeaux, ce n'est pas rien. Même René Angélil, l'imprésario et mari qui a une foi inébranlable en Céline Dion, a eu un léger doute. «Je ne serais pas honnête si je disais que je n'ai pas douté», reconnaît-il, assis dans la loge de la chanteuse au Colosseum. «Mais je ne doutais pas fort, fort, sachant que la dernière fois, elle avait récupéré rapidement. Cette fois, elle a retrouvé sa taille plus rapidement. Elle m'impressionne: elle dort à peine, deux ou trois heures à la fois, jamais une nuit complète, pourtant elle est en grande forme.»

Céline Dion est heureuse. Elle passe de beaux moments avec ses trois fils et son mari dans la suite qu'a mise à leur disposition le Caesars Palace en attendant que leur maison soit de nouveau prête à les accueillir à leur retour en juin. En plus, la chanteuse réintègre la très belle salle de spectacle qu'on lui a construite en tenant compte de ses suggestions, au début des années 2000, et où elle se produira 70 soirs par année pendant trois ans, accompagnée de 31 musiciens. «Quand t'es chanteur, tu peux avoir 30 musiciens une fois de temps en temps pour une émission spéciale à la télé, mais les avoir tout le temps, c'est autre chose. Un grand orchestre et une voix, Las Vegas n'a pas vu ça depuis Sinatra, il y a 30 ans», affirme Angélil.

«Je pense que Céline trouve que ce nouveau spectacle est plus proche d'elle, qu'elle s'y sent plus à l'aise», affirme Yves Aucoin, concepteur de la production. «Beaucoup d'idées viennent d'elle dans la scénographie comme dans l'interprétation. Elle se sent meilleure, plus impliquée que jamais et moins lancée dans un environnement qui n'est pas le sien. C'est aussi le spectacle de René. Quand (pour le spectacle précédent A New Day) tu engages Franco Dragone, tu engages son équipe et tu plonges dans son univers. Cette fois, l'équipe, c'est Céline Dion, René et Ken (Ehrlich, metteur en scène). Le 15 mars, ça sera l'accouchement de René!»

C'est un show tout de même complexe à monter, reconnaît Aucoin qui a fait appel à la boîte montréalaise Moment Factory pour habiller cette scène quatre fois plus grande que celle du Centre Bell avec des images virtuelles créées en fonction de la personnalité de la chanteuse et de l'esprit de ses chansons. «J'ai eu de sérieux problèmes de livraison et des trucs qui arrivaient, mais qui ne marchaient pas, explique Aucoin. C'est la première fois que je suis aussi éprouvé. Sur mes épaules, c'était plus lourd que les autres fois.»

Son collègue Denis Savage, directeur des opérations, ajoute: «Le plus stressant pour moi, c'était d'attendre que Céline soit enceinte pour donner le go à tout le monde. Je ne voulais pas être pris avec 40 camions de matériel qu'on n'aurait pu mettre nulle part s'il avait fallu sauter un an. Un an, en technologie, c'est beaucoup.»

Mais ni l'un ni l'autre n'a craint que la rentrée de Céline Dion soit retardée quand elle a donné naissance à des jumeaux, le 23 octobre dernier. «On a eu un meeting avec elle après l'accouchement et c'était réglé», se souvient Aucoin.

Grâce à James Bond

«Celine's back», peut-on lire sur une affiche à l'extérieur du Colosseum annonçant le grand retour de la star québécoise et nous la montrant le dos nu. Mais le spectacle qu'elle y donnera à compter de mardi a changé du tout au tout depuis que René Angélil a conclu une entente en ce sens avec le Caesars Palace, à la fin 2006, soit un an avant la fin du spectacle A New Day. Au début, on prévoyait simplement présenter à Las Vegas le spectacle de la tournée mondiale Taking Chances. Puis Angélil a craqué pour le concert avec orchestre de Céline et ses invités sur les plaines d'Abraham, en août 2008, et le projet a changé. Un an plus tard, Warner Bros. a proposé à Angélil un spectacle unique, filmé pour la télé, où la chanteuse reprendrait des chansons des films de la major américaine. C'est vite devenu la matière première du futur spectacle du Colosseum. Mais voilà, la Warner avait laissé entendre qu'elle s'apprêtait à acheter MGM et les films de James Bond, qui faisait l'objet d'un numéro sur lequel on planchait déjà. Or, la transaction a avorté et le clan Dion-Angélil a préféré oublier la Warner et conserver le numéro de James Bond, le plus abouti du spectacle avorté.

L'autre ennui avec la proposition de Warner, c'est qu'on pouvait difficilement y intégrer des succès incontournables de la chanteuse (My Heart Will Go On, Because You Loved Me, Beauty and the Beast, The Prayer) associés à d'autres compagnies de production cinématographique.

Outre ce coup de chapeau à James Bond (Goldfinger, Nobody Does It Better et Live and Let Die), il y a également dans le nouveau spectacle un hommage à Michael Jackson qui comprend les chansons Ben et Man in the Mirror, nous apprend le metteur en scène Ken Ehrlich, associé depuis longtemps à la cérémonie des Grammys où il avait recruté Céline Dion pour un hommage à MJ, l'an dernier. Les grands succès en anglais de la chanteuse québécoise, dont son premier tube américain Where Does My Heart Beat Now, comptent pour environ la moitié de ce spectacle d'une heure trente et des poussières. Outre quelques surprises, qu'on nous promet spectaculaires, la chanteuse y fait également des emprunts aussi étonnants qu'audacieux. Dont la chanson You'll Have to Swing It (Mr. Paganini) associée à la grande Ella Fitzgerald qu'elle reprend avec un quartette, et les trois grands moments d'émotion du spectacle selon Yves Aucoin: Lullabye (Goodnight, My Angel), de Billy Joel, qu'elle chante pendant que défilent des images de sa famille, At Seventeen, de Janis Ian, avec une guitare et une trompette pour seul accompagnement, et l'immortelle Ne me quitte pas, de Jacques Brel.

«Il y a des moments dans ce spectacle où ils prennent des risques au plan musical comme au plan créatif, affirme Ken Ehrlich. Je ne crois pas que ça soit plus risqué que le premier spectacle où on plaçait la chanteuse dans l'univers du Cirque du Soleil. Mais il y a quand même un élément de risque chaque fois que quelqu'un dit qu'il va chanter une chanson d'Ella Fitzgerald ou de Janis Ian en y mettant tout son coeur ou encore une chanson de Jacques Brel alors que ça serait plus facile de faire quatre ou cinq autres de ses succès. Je respecte énormément Céline: Taking Chances n'était pas qu'un titre d'album pour elle. Quand elle chante At Seventeen, elle est assise dans un coin, seule avec son guitariste. Elle force le public à réfléchir à la signification des mots plutôt que d'être obnubilés par les éclairages et les écrans. Elle possède ce talent qu'avaient Sinatra et Sammy Davis Jr. et qu'ont Bruce Springsteen, Bono et Elton John: ils ne chantent pas des mots, mais des idées.»

L'équipe de Céline Dion a eu trois répétitions devant un public d'invités pour faire les derniers ajustements cette semaine. Après celle de jeudi, il a fallu retrancher de 12 à 15 minutes de numéros qui pourraient fort bien refaire leur apparition sur scène au cours des prochains mois. Ce soir, ce sera la générale dont les recettes seront versées à une oeuvre caritative de Las Vegas.

«À la première répétition, dimanche dernier, on aurait dit un soir de première: il y avait là la famille Dion au grand complet, les amis et tous les boss du Caesars Palace et d'AEG (coproducteurs du spectacle), raconte Aucoin. René est comme ça: on ne fait pas une répétition pour faire une répétition, s'il y a du monde, on fait un vrai show. Après ce spectacle, ils étaient contents, ils nous ont beaucoup fait part de leur appréciation. Mardi, après le show, Céline était très chaleureuse. On a besoin de ça. C'est du vrai monde qui te donne beaucoup d'amour. Ça aide à travailler 20 heures par jour.»

Un album en français à l'automne

Céline Dion chantera en français sur son prochain album qui devrait paraître à l'automne. «On a dû le retarder; on pensait pouvoir l'enregistrer quand nous étions en Floride, mais Céline n'était pas assez en forme», explique René Angélil. Les chansons de ce premier album français depuis D'elles en 2007 sont choisies à 90 %, précise Angélil. Jean-Pierre Ferland y contribuera deux chansons: une inédite et le classique Une chance qu'on s'a. «On veut la faire connaître aux Français», dit Angélil. Luc Plamondon qui, comme Ferland, assistera à la première du spectacle de Céline mardi, apportera lui aussi quelques chansons dans ses bagages. Les autres viendront de France, dont certaines de la bande de Jean-Jacques Goldman, mais pas de Goldman lui-même qui se consacre exclusivement à sa vie familiale ces jours-ci. Un nouvel album en anglais devrait suivre en 2012.

Photo: Gérard Schachmes