PJ Harvey, une des plus singulières voix du rock anglais, rend compte d'une époque troublée par la guerre et la perte des illusions, dans son huitième album solo au titre en forme d'interpellation à sa patrie: Let England Shake.

«Il y a des poètes de guerre, des artistes de guerre. Je me suis demandé où étaient les auteurs de chansons de guerre», disait récemment la chanteuse dans une entrevue au magazine anglais NME pour expliquer la genèse de son album.

Depuis 20 ans, au fil d'albums exigeants et acclamés par la critique, la musicienne explore les tourments intimes du corps et du désir.

Avec Let England Shake (Universal), publié lundi, PJ Harvey évoque pour la première fois les tourments du monde. Non que le sujet ne l'intéressait pas. Mais la jeune quadragénaire a longtemps attendu car, dit-elle, «je n'avais pas encore atteint une habileté suffisante en tant qu'auteur».

Pour écrire l'album, la musicienne a mené trois ans de recherche, visionnant des centaines de documentaires, lisant des dizaines d'écrits historiques, de lettres de vétérans des Dardanelles, de témoignages de femmes afghanes.

L'écriture, à la fois poétique et très réaliste, se veut celle d'un reporter sur des champs de bataille, qui pourraient être aussi bien situés en Bosnie, qu'en Russie ou en Irak. «J'ai vu et fait des choses que je veux oublier/Des soldats qui tombaient comme des morceaux de viande/Des bras et des jambes dans des arbres», chante-t-elle sur The Words that Maketh Murder.

L'album est aussi une adresse directe à sa terre natale. PJ Harvey confronte les images d'une Angleterre pastorale, rêvée et adorée, au constat d'un pays engagé dans des conflits sanglants, d'une nation au «goût amer», «où l'indifférence a gagné», mais pour laquelle elle n'a «pas de remède».

«Je dresse un portrait de ma patrie, pour laquelle j'éprouve des sentiments d'amours et de haine. Je décris la chute de cet empire «sur lequel le Soleil ne se couche jamais» à travers des images de guerre d'aujourd'hui - en Afghanistan et en Irak - mais aussi du passé», dit-elle dans un entretien publié par l'hebdomadaire français L'Express.

La musique prend le contre-pied de ces textes glaçants. L'album a été enregistré dans un cadre bucolique: une église du XIXe siècle juchée sur une falaise surplombant la mer dans le Dorset natal de PJ Harvey. Entourée de ses complices de toujours, John Parish et Mick Harvey, la musicienne a créé des mélodies légères empruntant aux chansons folkloriques, au jazz, à la pop.

Orgue, xylophone, trompette, auto-harpe (une sorte de cithare) enrobent la voix de PJ Harvey, qui est ici cristalline, presque enfantine, comme sortie d'une chorale.

«Il fallait que ma voix se tienne à distance, soit impartiale vis-à-vis de ces textes cinglants. Parfois, on dirait que j'ai cinq ans: avec leurs voix pures, les enfants sont capables de faire des récits cruels tout en gardant une curiosité dépourvue de jugements», souligne-t-elle.