Lancé en octobre 1980, l'Opéra de Montréal montait un premier ouvrage français dès sa deuxième saison: Werther, de Massenet, en février 1982. Il le reprenait en septembre 1994 et le ramène de nouveau, cette fois dans la très rare version où le rôle-titre est confié à un baryton.

Werther prend l'affiche ce soir, 20h, salle Wilfrid-Pelletier de la PdA, pour cinq représentations. On en comptait sept en 1982 et six en 1994. Ce qui semble une réduction s'explique tout simplement par l'augmentation du nombre de productions par saison à l'OdM.

Inspiré du roman autobiographique de Goethe dont l'action se situe en Allemagne, Werther fut effectivement créé en milieu germanique: à Vienne, dans une traduction allemande, en 1892. À Paris, l'Opéra-Comique avait considéré le sujet comme trop «allemand», justement, et trop sombre. L'ouvrage entra finalement sur la scène parisienne l'année suivante, dans sa version originale française.

L'intrigue est brève et bien connue. Le jeune poète Werther aime Charlotte, fille d'un bailli (ou magistrat), chargée de l'éducation de ses jeunes frères et soeurs. En mourant, sa mère lui fit promettre d'épouser un certain Albert, personnage plutôt sévère, ami de Werther. Ne pouvant accepter cette réalité, Werther demande les pistolets d'Albert et part se donner la mort. Charlotte arrive à temps pour lui révéler son amour.

Werther rassemble une distribution d'ici: le jeune baryton Phillip Addis dans le rôle-titre, la mezzo Michèle Losier en Charlotte, le baryton Stephen Hegedus en Albert, la basse Alain Coulombe en Bailli et la soprano Suzanne Rigden en Sophie, jeune soeur de Charlotte.

La mise en scène est de Elijah Moshinsky, réputé au théâtre comme à l'opéra, et la scénographie est une location de Opera Australia, à laquelle on a ajouté les costumes des «designers» locaux Claudia et Sabrina Barilà. À cet égard, l'OdM précise que l'action a été déplacée de la fin du XVIIIe siècle au début du XXe. Dans la fosse, Jean-Marie Zeitouni dirigera l'Orchestre Symphonique de Montréal. Hasard (peut-être), l'OSM avait aussi été choisi pour les deux précédentes productions de Werther.

De Battistini à nos jours

La principale nouveauté de cette production reste cependant le recours à la version où le rôle de Werther est chanté par un baryton. Massenet prépara cette adaptation en 1902 pour Mattia Battistini. Il admirait le style élégant autant que la voix de celui qu'on appelait «le roi des barytons» et considérait que le timbre sombre du baryton convenait au personnage troublé de Werther davantage que celui, plus éclatant, du ténor.

Jean-Marie Zeitouni a fait beaucoup de recherches sur le sujet, consultant le bibliothécaire du Met, où cette version fut chantée en 1999 par Thomas Hampson (qui l'a enregistrée par la suite), ainsi que la musicologue américaine Lesley Wright, qui prépare actuellement un livre sur la question.

Présentée dès 1989 au Seattle Opera, avec le baryton Dale Duesing, cette version n'est pas encore publiée, explique M. Zeitouni. Tout ce qu'on possède se ramène à une copie de la partition pour ténor dans laquelle Massenet a indiqué à la main la ligne de chant du Werther baryton. Il n'y a aucune transposition de la partie vocale de Werther, uniquement des abaissements de notes, et il n'y a absolument rien de changé dans ce que chantent les autres personnages et dans ce que joue l'orchestre.

Les fans d'opéra qui guettent le contre-do (ou ce qui s'en rapproche) risquent donc d'être déçus. Ainsi, dans l'air le plus fameux de la partition, «Pourquoi me réveiller?», Werther pousse par deux fois le mot «réveiller» vers un la dièse aigu. C'est la version traditionnelle pour ténor. Dans la version pour baryton, l'air se termine une tierce plus bas, sur un fa dièse.

M. Zeitouni précise cependant que certains ajustements ont été faits et que certaines «tournures de ténor» ont été conservées, compte tenu de la voix de Phillip Addis, qu'il considère comme un baryton-Martin, c'est-à-dire un baryton plus clair et plus élevé que Thomas Hampson.

****

DiscographieEn 1994, à l'occasion de la dernière production de l'OdM, j'avais établi une discographie de Werther. La situation a peu changé depuis. La version Georges Thill-Ninon Vallin de 1931 reste un classique à posséder. La version moderne la plus acceptable: Alfredo Kraus-Tatiana Troyanos. L'unique enregistrement de la version pour baryton, celui de Thomas Hampson, n'est plus disponible. Mince consolation: «Pourquoi me réveiller?» par le baryton danois Bo Skovhus chez Sony.

En documents historiques, on peut encore trouver sous diverses marques les deux principaux airs de Werther tels que gravés par Battistini en 1911, en italien; on aura plus de difficulté à retracer le coffret «Creators' Records» de Standing Room Only contenant les voix du Werther de 1892, Ernest van Dyck, et de la Charlotte de 1893, Marie Delna.