Dilemme. Faudra-t-il danser ou écouter sagement la performance de David Psutka, alias Egyptrixx, ce soir sur la scène principale de l'Igloofest? Le Torontois préconise la première option, prenant le contre-pied (littéralement) de cet étrange Bible Eyes, son premier album attendu début mars, lequel navigue entre ces deux états de la musique électronique, le groove et l'intellect.

«Le fait de travailler sur un album complet, plutôt que sur des singles ou des minialbums, me permettait d'explorer différentes avenues musicales sans avoir à me concentrer, disons, sur un single pour les planchers de danse», explique le producteur et DJ Egyptrixx. Inconnu il y a un an, il est aujourd'hui en voie de remettre Toronto sur la carte électronique grâce à son Bible Eyes.

Pourquoi et comment il en est arrivé à faire un disque aussi difficile à saisir, entre house, dubstep et textures ambiantes? Lui-même ne se l'explique pas: «Le disque me paraissait mûr, juste comme il le faut, au moment de l'enregistrer l'été dernier», dit-il avec un rire diffus. «Ce qui comptait, pour moi, c'est l'atmosphère, l'allure générale, sa cohérence.»

Une certaine mélancolie traverse Bible Eyes, qui ne manque pourtant pas de rythme - la pièce titre a quelque chose d'à la fois tribal et psychédélique, comme un trip de peyotl... Chez Night Slugs, le label londonien qui édite l'album, on parle d'une «musique de club céleste». Le ciel n'est cependant pas rose dans le petit monde musical de Psutka, qui colore plutôt ses productions de sonorités brutes, héritées de son passé de musicien rock avant-garde/drone/noise.

«Noise, rock, expérimental, le groupe fonctionnait bien, raconte Psutka. Il y a 10 ans, des amis à moi étaient engagés dans la scène jungle et drum & bass de Toronto; moi, j'allais plutôt dans des concerts de métal et de punk. Bref, le groupe dans lequel je jouais s'est finalement dissous pour des raisons internes, ça m'a beaucoup déçu, raconte Psutka. J'ai alors décidé de faire de la musique en solo, pour un temps.»

Un ami laisse chez lui une pile de CD de musique électronique, qu'il a fini par dévorer. Egyptrixx est son premier projet du genre, qui fait le pont entre ses amours pour l'avant-garde et les sonorités synthétiques.

Le buzz est fort pour le fascinant Bible Eyes, qui paraît sur le label londonien Night Slugs, fondé par Bok Bok et L-Vis 1990, deux jeunes producteurs remarqués pour leur créativité. Le label existe depuis près d'un an, mais il a déjà laissé sa trace sur les planchers de danse, notamment avec l'impeccable crunk-dubstep futuriste Wut, une monstrueuse production signée Girl Unit, un des meilleurs singles électroniques de 2010.

«Vraiment, c'est un honneur pour moi d'offrir le premier album complet (excluant la récente compilation) pour Night Slugs», acquiesce-t-il. «C'est clair qu'il y a un hype sur cette étiquette. Je connaissais ces gars-là bien avant qu'ils lancent leur label, on a fait connaissance sur un forum de discussion. Même si les gars qui dirigent l'étiquette vivent à Londres, ils ont une vision globale, disons, de la production musicale. Un des deux est originaire d'Ukraine - ce n'est pas qu'un label underground londonien», mais bien une structure aux visées internationales.

«YouTube et l'internet en général ont, en quelque sorte, tué le régionalisme en musique. C'est excitant, ça suscite l'innovation. Ainsi, je remarque que des labels hot, comme Night Slugs ou LuckyMe, évoluent dans une sorte de zone grise, entre plusieurs styles musicaux, le house, le minimal, le garage. Et c'est aussi ce qui arrive dans l'évolution du dubstep, un genre qu'on croise à plein d'autres styles. La musique n'en est que meilleure, à mon avis.»

Aussi difficile soit-il de mettre le doigt sur ce fascinant Bible Eyes, Egyptrixx promet qu'on dansera. «Je vais donner une performance live, mais franchement, je suis un peu inquiet concernant les conditions... Je vais geler dehors, tu crois?»

Sans doute, mais il ne sera pas seul. Demain soir, Egyptrixx partagera la scène avec le vétéran Andrew Weatherall, Round Table Knights et Panton (avec le sound clash des Lemieux, Vincent et Alex, sur la seconde scène). Igloofest démarre ce soir son impeccable deuxième week-end avec Terror Danjah, Eskmo, Kid Sister et Marc Rémillard (Mayday et Bliss sur l'autre scène). Infos: igloofest.ca