Offrir un CD à Noël? Avouez que ce n'est plus très alléchant, toutefois... Si le CD se meurt, lui survivront ses variétés de luxe, celles qu'on pourra contempler sous le sapin et ensuite sur les étagères.

Le coffret se passe de présentation. Ce concept demeure néanmoins le principal support de musique enregistrée à offrir. Parce qu'il est un bel objet, parce qu'il comporte généralement un livret avec images et textes substantiels, parce qu'il regroupe des titres incontournables et souvent des inédits, le coffret est encore et toujours recommandable. Voici notre sélection.

Une vision «intégriste» du jazz

Alain Brunet

Il faut d'abord souscrire à cette vision de l'octogénaire André Francis que partage son collègue Jean Schwartz, pour qui le jazz semble se terminer à la fin des années 50, soit à l'âge d'or du jazz moderne. Pour ma part, cette vision rétrograde de l'histoire du jazz exclut un demi-siècle d'évolution musicale. Ainsi, le genre n'aurait pas connu de progrès formels aussi fulgurants à partir des années 60. Certes, le jazz n'a jamais été aussi branché depuis lors, de plus en plus relégué au rang des musiques sérieuses. Mais ce qu'on considérait avant-gardiste et neuf à cette époque fait désormais partie des formes courantes et admises par la plupart des jazzophiles. Depuis le début des années 60, le jazz moderne n'a cessé de se transformer, ses formes subséquentes furent très variées et d'autant plus fertiles en créativité: jazz-rock, jazz-fusion, free-bop, jazz contemporain, électro-jazz, jazz africain, jazz arabe, jazz antillais, jazz de chambre à l'européenne et autres sous-tendances ne font pas partie du corpus préconisé par Francis et Schwartz. Cela étant, ce choix de ne couvrir que les deux tiers de l'histoire du jazz n'exclut pas la rigueur. Ces ouvrages sont bien écrits, bien documentés, quatre livrets et cent CD répartis en quatre coffrets. Le premier consacre 17 CD au rag time, au jazz primitif, styles néo-orléanais et chicagoan, blues orchestral de Kansas City. Sur un enregistrement de 1944, apparaît un certain Charlie Parker. Les 83 autres CD se consacrent aux années 50 ! Des années marquées par le bebop, le swing, le cool, le west coast, le hard bop et le jazz modal.

______________________________________________________________________________

* * * 1/2

Jazz. La Grande histoire du jazz/1898-1959. Quatre coffrets de 25 CD. Le chant du monde.

Avant d'être crooner

Alain Brunet

Voilà ce à quoi on doit s'attendre d'un coffret de 53 pièces réparties sur trois CD: un objet qu'on aime contempler. Un texte solide de David Ritz y rappelle le grand talent pianistique de Nathaniel Adams Cole, mis en valeur à travers ces enregistrements réalisés entre 1936 et 1946, soit avant qu'il ne devienne crooner. Fan indéfectible de son aîné, feu Oscar Peterson y témoigne toute son admiration, indiquant les sources originelles de son jeu pianistique: Nat Cole s'était inspiré d'Art Tatum et d'Earl Hines. Aux innovations stylistiques de ses prédécesseurs, il conféra vernis, lustre et velouté. Grand soliste de l'ère swing, reconnu pour sa souplesse et la circonspection de son phrasé sur les ivoires, le pianiste fut un modèle pour ses successeurs, à commencer par notre Oscar. Ainsi, on retrouve Nat King Cole avec le trio originel qui l'a d'abord rendu célèbre sur la planète jazz: le contrebassiste Wesley Prince et le guitariste Oscar Moore. Les chants au menu de ces enregistrements de 1940 et 1941, il faut dire, se fondent dans le jeu du trio. Ce coffret révèle également le pianiste au sein des Eddie Cole Swingers, dirigés par le frère contrebassiste de Nat. Menées par le promoteur Norman Grantz, les sessions de la troupe Jazz At The Philarmonic nous présentent le pianiste aux côtés de pointures notoires - le guitariste Les Paul, le tromboniste JJ Johnson, les saxophonistes Lester Young et Illinois Jacquet, etc. On peut aussi entendre la contribution pianistique de Nat Cole avec les ensembles de Dexter Gordon, Lester Young, sans compter les Keynoters. Superbe document!

_______________________________________________________________________________

* * * * 1/2

JAZZ. Nat King Cole&Friends. Riffin: The Decca, JATP, Keynote and Mercury Recordings.

Musique... et plus!

Philippe Renaud, collaboration spéciale

Ne nous étendons pas trop sur la musique de cet album du Thin White Duke, dont on connaît bien la valeur. Enregistré en Californie pendant une période trouble de la vie de Bowie, lancé il y a bientôt 35 ans, Station to Station marque la transition entre l'ère Ziggy et celle de la brillante trilogie berlinoise à venir - les traces de krautrock sont déjà manifestes dans l'énergie funk des six chansons qui constituent ce classique. Station to Station en est à sa quatrième réédition, mais cette fois, osons dire que ce sera la dernière; la version Deluxe est un véritable fantasme de collectionneur! On y retrouve l'album d'origine, édité dans sa version CD en 85, une nouvelle version (un CD de singles est ajouté, ainsi qu'un DVD contenant la version Dolby 5.1) et le fameux enregistrement pirate du spectacle au Nassau Coliseum de New York en 1976. Le son y a été nettoyé, l'album live officiellement inédit y est en deux resplendissants CD, et toute cette bonne musique est aussi sur vinyle pour les fines bouches. Impressionnant. Ajoutons un livret très bien rédigé (et illustré), des reproductions d'objets, un dossier de presse de la tournée, la pochette du fan-club, une reproduction du ticket du concert à New York... Et une affiche géante. Et deux macarons. La totale. On a déjà hâte à la version deluxe de la trilogie berlinoise dans laquelle Bowie allait s'investir l'année suivante.

_____________________________________________________________________________

* * * *

ROCK. DAVID BOWIE. Station to Station Reissue/Deluxe Reissue. EMI.

Des mots qui sonnent

Marie-Christine Blais

En 1995, un coffret de 2 CD avec 25 chansons écrites par Plamondon avait souligné ses 25 ans de carrière. 15 ans plus tard, voici un autre coffret, cette fois de 4 CD, pour marquer ses 40 ans de métier: surprise, il y a relativement peu de redites entre le coffret de 1995 et celui de 2010! D'abord, parce que les 4 CD compte beaucoup plus de chansons (77), mais surtout parce que, depuis 1995, Plamondon a continué à écrire avec succès: Notre-Dame de Paris, la chanson du film Séraphin (Depuis le premier jour), D'l'amour j'en veux pus pour Éric Lapointe, Je t'oublierai, je t'oublierai pour miss Boulay, etc. Si on en doutait, c'est la preuve en cinq heures de musique que le parolier, aussi célèbre et reconnu (parfois plus!) que ses interprètes, est une richesse naturelle du Québec. Les 77 morceaux sont répartis sur les CD selon qu'ils sont pop, rock, groove ou ballade. Même si les disques rock et groove ont moins bien vieilli (principalement à cause des claviers et arrangements qui sévissaient dans les années 80), ce coffret vaut la peine parce qu'une partie de la trame sonore de nos vies et de l'histoire de la chanson populaire du XXe siècle s'y nichent - y compris quelques raretés.

_____________________________________________________________________________

* * * 1/2

POP. LUC PLAMONDON. 40 ans de chansons, 40 stars à l'unisson. Musicor/Sélect.

Piano, Beethoven, Lortie

Alain Brunet

La maison Chandos, avec qui Louis Lortie a été surtout associé jusqu'à une période relativement récente, a lancé ce coffret de neuf CD: entre 1991 et 2010, le virtuose a fini par enregistrer les 32 sonates pour piano de Ludwig van Beethoven, dont l'Opus 6 en ré majeur composée pour quatre mains - d'où la participation d'Hélène Mercier. Résidant en Allemagne depuis nombre d'années, le pianiste québécois est particulièrement friand de cet extraordinaire corpus créé pour son instrument de prédilection. Le protagoniste de cette vaste entreprise, échelonnée sur deux décennies, dit de Beethoven qu'il a été été le maître compositeur ayant le plus fait évoluer la forme sonate au cours d'une vie humaine. Et comment! Après avoir procédé à l'écoute du cycle complet de ces sonates, on ne peut que conclure au génie du compositeur, bien au-delà des clichés qui lui sont collés... et que Lortie s'applique à déjouer depuis ses débuts. Ainsi, notre virtuose québécois se retrouve dans son élément. Vraiment! Sans prétendre à quelque comparaison avec d'autres exécutions de la même trempe, je me permets ces remarques: la fluidité du jeu, la perfection du phrasé à tous les niveaux de difficulté, la grâce des nuances inscrites dans chacune de ces sonates, la compréhension profonde de leurs variations, l'éloquence circonspecte, la maturité du jeu acquise au fil du temps, voilà autant de variables qui me mènent à croire que Louis Lortie demeure un très grand interprète de Beethoven.

_____________________________________________________________________________

* * * * 1/2

CLASSIQUE. LOUIS LORTIE. Louis Lortie plays Beethoven. Complete Piano Sonatas (9 CD). Chandos.

L'intégrale en format de poche

Alain Brunet

Pour cette réédition, Universal a choisi l'économie de moyens, la frugalité, le format de poche, quoi. Depuis l'apparition du CD au cours des années 80, l'intégrale de ses albums studio s'est déjà retrouvée dans de fastes coffrets avec livre illustré, pages glacées et tout et tout. Voici la version minimaliste. Livret avec «repères biographiques», pochettes cartonnées avec illustrations originelles, albums certes remasterisés... Est-ce vraiment l'approche à préconiser à l'époque où le CD se meurt? Ne vaudrait-il pas mieux transformer ces produits physiques en objets de luxe? S'il est possible de télécharger à (très) peu de frais ces albums, pourquoi procéder ainsi? Réponse: pour satisfaire les consommateurs de CD qui n'ont pas vraiment transformé leurs habitudes. Toujours est-il que Brassens a fait 14 albums studio au cours d'une carrière qui s'est malheureusement terminée abruptement en octobre 1981. Si cette production n'est pas immense, sa substance l'est, à n'en point douter. Il suffit de se repasser ces albums afin d'y recenser cette pléthore de classiques, textes parfaits et consonants, tellement forts qu'un accompagnement musical des plus sobres d'allégeance folky-jazzy-manouche (guitares acoustiques et contrebasse), a généralement suffi à mettre en valeur. De 1953, année de La mauvaise réputation et du Gorille, jusqu'à 1977, année des annonciatrices Trompe la Mort et La messe du pendu, Brassens aura déployé son génie chansonnier.

______________________________________________________________________________

* * *

CHANSON. Georges Brassens. L'intégrale des albums originaux. Polydor/Universal.

«Bobsession»

Philippe Renaud, collaboration spéciale

Du travail de précision que ce nouveau coffret Dylan. Là dessus, rien qu'on n'ait déjà entendu: les huit premiers disques de Bob, de l'éponyme à John Wesley Harding, ici édités pour la première fois en CD dans leur version mono. En CD, insistons-nous: les audiophiles-dylanophiles ont peut-être déjà les rééditions mono vinyle réalisées au cours des dernières années, alors que les autres ont soit un précédent coffret, soit les versions Super Audio CD (SACD) des même albums, mais version stéréo. Vous me suivez toujours? Pas d'inédit dans le coffret, mais les reproductions fidèles (jusqu'à la jaquette du long-jeu) des éditions vinyle originales, avec ses belles pochettes en carton rigide glacé. Le livret d'une cinquantaine de pages contient un court essai sur les motivations derrière ce travail, et de superbes photos. Ce que ça vaut? Pardonnez l'ésotérisme du commentaire, mais on glisse The Times They Are A-Changin' dans le lecteur, et tout d'un coup, on a l'impression d'être juste un peu plus près de la légende, sa guitare sur les genoux et l'harmonica au cou comme devant nous... Pour une fois, j'ai envie de les croire lorsqu'ils disent que c'est ainsi que cette musique devait être écoutée.

______________________________________________________________________________

* * * *

FOLK-ROCK. BOB DYLAN. The Original Mono Recordings. Columbia/Sony-BMG.

À l'aube du déclin

Alain Brunet

Au milieu des années 50, Chet Baker jouit d'une grande popularité, bien au-delà des jazzophiles. En 1955, un séjour de sept mois en Europe marque le début d'un long déclin. Héroïnomane notoire, le trompettiste verra progressivement son étoile pâlir durant la période ici couverte par ce coffret de 10 CD. Quatre ans de vie américaine, quatre années où la cool attitude qu'il incarne perd progressivement de son lustre. Un demi-siècle plus tard, on peut quand même apprécier cette tranche de vie signée Chet Baker. On y ressent le givre de ses phrases qui s'écourtent parfois et qui perdent de l'intelligibilité, on observe une articulation parfois moins vigoureuse, alors que certains passages sont marqués par une esthétique plus virile, soudainement claire. Idem pour le progrès de son chant si fameux... Ainsi se succèdent dans cette dizaine de CD des enregistrements réalisés sur la côte Ouest et à New York - surtout à partir de 1958. Quartette, quintette, sextette dirigé de concert avec le saxophoniste alto Art Pepper, sextette dirigé par Baker, grand orchestre codirigé avec Bud Shank, All Star Big Band de Jack Sheldon, quartette de Gerry Mulligan, trio, septuor. Y défilent de grands musiciens outre ceux déjà mentionnés: Bobby Timmons, Stan Getz, Annie Ross, Kenny Drew, Phillly Joe Jones, Mel Lewis, Paul Chambers, Bill Evans, Pepper Adams, Zoot Sims... Ce n'est pas rien!

________________________________________________________________________________

* * * *

JAZZ. Chet Baker. Back Home! 1956-1959. Le Chant du monde.

Exemplaire!

Alain de Repentigny

The Promise est non seulement à la hauteur du chef-d'oeuvre qu'est Darkness on the Edge of Town, il donne aussi à voir et à entendre tout ce qu'un coffret sur un album classique devrait inclure. D'abord, le disque de 1978 remasterisé, avec une amplitude et des couleurs dont Bruce Springsteen rêvait depuis toujours. Puis deux autres CD de chansons rares ou déjà connues, mais toutes inédites dans cette forme, enregistrées dans la période la plus créative du Boss. Et surtout, trois DVD indispensables: un making of qui illustre parfaitement le virage entrepris par Springsteen avec Darkness; le spectacle de Houston en décembre 1978, pas parfait au plan technique, mais qui montre la passion, la générosité, la folie et l'unicité de Springsteen, et sa complicité essentielle avec le saxophoniste Clarence Clemons; et Darkness joué dans un théâtre, sans public, en 2009, qui prouve que cet album n'a rien perdu de son impact, avec en prime une heure de vidéos rares de l'époque. Ajoutez à cela un livre à spirale contenant photos et notes de travail du jeune Springsteen et vous avez là le plus beau cadeau de Noël qui se puisse offrir!

_____________________________________________________________________________

* * * * 1/2

ROCK. Bruce Springsteen. The Promise : The Darkness on the Edge of Town Story. Columbia/Sony.

Un demi-siècle d'Afrique moderne en musique

Alain Brunet

Voilà le document discographique idéal, le plus pertinent qu'on puisse offrir à tout amateur de musique africaine et autres esprits ouverts à ce vaste continent. Ces 18 CD couvrent les six grandes régions d'Afrique et ce, avec une rigueur ethnomusicologique hors du commun. Non seulement y recense-t-on tous les grands artistes qui ont irradié le monde depuis l'aube des indépendances nationales africaines, mais on y débusque des dizaines de musiques connues nationalement et qui n'ont traversé que peu de frontières jusqu'à maintenant. Ainsi, l'Afrique du Nord regorge de ses Oum Kalsoum, Cheikha Remitti, Khaled et autres Nas el Ghiwane, mais révèle une abondance de musiciens et chanteurs plus obscurs pour l'amateur occidental. Idem pour l'Afrique de l'Ouest dont le premier enregistrement recensé est ghanéen, réalisé en 1956, c'est-à-dire un quart de siècle avant l'apparition des Salif Keita, Alpha Blondy, Youssou N'Dour. Idem pour l'Afrique de l'Est qui déborde largement le cadre des désormais connus «éthiopiques» (Mahmoud Ahmed, etc.) pour ainsi s'étendre à la Tanzanie, au Soudan, au Kenya et même à certaines îles de l'océan Indien. De Franco à Manu Dibango, l'Afrique centrale met en relief sa rumba, son soukouss et autres makossa. L'Afrique australe, elle compte ses Myriam Makeba, Mahlatini et Hugh Masekela, pendant que l'Afrique lusophone a ses Cesaria Evora, Bonga et tant d'autres talents.

_______________________________________________________________________________

* * * * *

Coffret Afrique. MUSIQUES DU MONDE. 1960-2010 Afrique 50 ans de musique 50 ans d'indépendance. Discograph.

Baroque et soliloque

Alain Brunet

Ces dernières années, le pianiste français Alexandre Tharaud a débordé le cadre de son auditoire classique en enregistrant (entre autres) Satie et Chopin, impeccables interprétations avec impeccables prises de son. Cette fois, il réunit trois corpus dédiés exclusivement au piano seul. Trois compositeurs de la même époque, ayant créé ces musiques pour le clavecin: Jean-Philippe Rameau, Jean-Sébastien Bach, François Couperin, que Tharaud  explore depuis 2001 et dont on a réuni les enregistrements dans un coffret réparti en trois CD. Les suites de pièces de clavecin de Rameau ont été créées en 1728, elles représentent pour l'interprète «un retour aux sources nécessaire», qui s'appliquait à maîtriser Chabrier, Debussy, Ravel et Poulenc il y a une dizaine d'années. De J.S. Bach, Tharaud a choisi de jouer les oeuvres pour piano seul inspirées de ses contemporains d'Italie - Antonio Vivaldi, Alessandro et Benedetto Marcello, possiblement Torelli. «Ces concertos, plus que des transcriptions, ont été totalement réinventés par Bach», dixit Tharaud. On n'aura aucun mal à faire acte de foi, car la facture JSB y domine clairement l'italienne, bien que l'esprit des compositeurs y soit maintenu. En troisième lieu, François Couperin a sévi à la fin du 17e siècle et sur le premier tiers du 18e. On apprécie la limpidité de ses lignes, la clarté de ses émotions, son sens de l'épuration, son raffinement. Tharaud boucle ainsi la boucle de ce coffret baroque en mettant en lumière cet autre compositeur français. Qui plus est, il voit dans cette interprétation de Couperin un hommage aux interprètes ayant exploré antérieurement ce répertoire - Diémer, Meyer, Casadesus, Gilels, etc. Trois CD d'une grande suavité, tout compte fait.

_____________________________________________________________________________

* * * *  1/2

Alexandre Tharaud. Rameau * Bach * Couperin. 3 CD. Harmonia Mundi.

Les pépins de la Pomme

Philippe Renaud, collaboration spéciale

Les vannes sont ouvertes! Après la remasterisation complète du catalogue des Beatles, après son arrivée même dans l'univers dématérialisé, numérisé, de la musique, après le récent coffret consacré à l'oeuvre de Lennon et approuvé par Yoko elle-même, voilà qu'on ressert la mémoire de Apple, la maison de disques. Tout? Pas exactement: l'essentiel des albums qui ne sont pas ceux des Beatles, le groupe ou ses parties. Cependant, ce joli coffret (reproduction des pochettes originales, livrets assez bien détaillés, cinq ou six inédits à chaque disque) transpire de l'influence du Fab Four, qui veillait à la production des albums de (presque) chaque artiste recruté. On sent particulièrement la présence de George Harrisson qui réalise, compose, s'implique dans la majorité des disques ici reproduits. Un peu beaucoup de Paul aussi, sans compter leurs célèbres amis. Par exemple, sur les deux disques, ses meilleurs, de l'organiste et chanteur soul Billy Preston, Eric Clapton et Keith Richards jouent, tout comme Ginger Baker. En gros, on passe du solide (Preston, Doris Troy, le premier James Taylor) au distinct (les deux albums du compositeur contemporain John Tavener) et à l'étrange, comme le seul album, entêtant, du Radha Krsna Temple. Sans compter les pas indispensables albums de Badfinger, ceux qui auraient bien voulu être les Beatles après les Beatles, mais dont l'histoire, comme la discographie au demeurant, est farcie de mauvaises décisions...

_______________________________________________________________________________

* * * 1/2

POP-ROCK-R&B-WORLD. ARTISTES VARIÉS. Apple Records Box Set (16 CD). Apple Records/EMI.

Patchouli

Philippe Renaud, collaboration spéciale

Avant de migrer en France pour fonder Gong, le hippie australien Daevid Allen s'est posé chez Monsieur Wyatt, près de Canterbury en Angleterre, avec sa collection de disques de jazz, qu'il a fait écouter au fils de son proprio, Robert. C'est à peu près ainsi que naissait ce qu'on a baptisé la «Canterbury scene», déclinaison du prog-rock/psychédélique/jazz fusion. Robert Wyatt allait devenir batteur du groupe culte Soft Machine... et Allen et sa troupe restèrent dans l'ombre avec Caravan, qui fait l'objet d'un coffret rétrospective de quatre disques retraçant le meilleur du prolifique orchestre prog. Plus calme, douillette et mélodieuse que celles leurs confrères prog-rock, la musique de Caravan a pris des rides, y'a pas de doutes. L'anthologie, qui ne contient que deux inédits (mais aussi quelques enregistrement live plus difficiles à trouver), est fort bien conçue, s'ouvrant comme un livre, avec les disques greffés à la couverture et le livret richement détaillé, ça se lit comme un magazine farci de photos couleurs. 

______________________________________________________________________________

* * *

PROG-ROCK. CARAVAN. The World is Yours - The Anthology 1968-1976 (4 CD). Decca/Universal.

Du lycra et des hits

Philippe Renaud, collaboration spéciale

Véritable trésor afro-américain d'archives audio-visuelles, la cultissime émission hebdomadaire Soul Train, animée par le stoïque Don Cornelius, a invité tout ce qui comptait de musiciens soul, r&b et, plus tard dans les années'80, hip hop. Warner distribue désormais le coffret de 3 DVD assemblé par Time Life (les pubs à la télé, ça vous dit quelque chose?). Fascinante écoute, et pas seulement pour la musique, tantôt fameuse (une émission complète avec James Brown et son groupe, Stevie Wonder en feu), tantôt décevante (Curtis Mayfield réduit à faire du lipsync sur Pusherman et Superfly). Car on a les émissions quasi intégrales, avec les pubs, d'un kitch absolu, de produits beauté du commanditaire principal des années 70! Et le studio rempli de danseurs exposant leurs plus beaux pas de danse! Et les costumes hallucinants: faut voir les Blue Notes de Harold Melvin et leur accoutrement, et celui de Lionel Richie (dans l'émission spéciale sur les Commodores) fabriqué à partir d'une robe de mariée recyclée! Marvin Gaye, Aretha Franklin, Bill Withers, les Isley Brothers, Barry White et plusieurs autres (mais pas Isaac Hayes, dommage) y figurent, ainsi que d'obscures vedettes du star système Black de l'époque.

_______________________________________________________________________________

* * * *

ARTISTES VARIÉS. The Best of Soul Train (3 DVD). Time Life/Warner.

On veut encore Miles!

Alain Brunet

Décidément, on n'en finit plus de fouiller dans les tiroirs de Columbia pour allonger la sauce Miles Davis. Nous voilà à l'énième édition de ce Bitches Brew rendu public en 1970, certes le mieux connu des albums fondateurs du jazz fusion signés Miles Davis - il ne faut surtout pas oublier In A Silent Way (1969), Live-Evil (1971), A Tribute to Jack Johnson (1971), regroupant plusieurs musiciens devenus des incontournables - John McLaughlin, Chick Corea, Wayne Shorter, Joe Zawinul, Dave Holland. Ainsi, la version de luxe comprend un vinyle et un livret plus étoffé, alors que la version classe économique comprend deux CD avec prises supplémentaires aux originelles (les pièces Spanish Key, John McLaughlin, Great Expectations et Little Blue Frog), auxquels s'ajoute le DVD d'un concert donné à Copenhague avec cette matière, soit le 4 novembre 1969. Sur scène, la formation n'est pas cette vaste tribu mise à contribution pour ces les mythiques sessions d'enregistrement de Bitches Brew. Pour cette tournée, Miles avait réuni Wayne Shorter (saxophones soprano et ténor), Chick Corea (Fender Rhodes), Dave Holland (contrebasse) et Jack DeJohnette (batterie). En formation réduite, cette matière se rapproche davantage de l'époque antérieure aux enregistrements de 1969 à 1971. Quel mélange intéressant! On finit même par y ressentir l'influence du fameux quintette (Williams, Carter, Shorter, Hancock) dans la manière de jouer, vu la contribution obligée de ces cinq grands musiciens plongés dans cette nouvelle matière. À l'évidence, il s'agit là d'un document essentiel à la compréhension de cette transition opérée par le cat des cats.

____________________________________________________________________________

* * * *

Miles Davis. Bitches Brew / Legacy Edition. 2 CD, un DVD. Columbia / Sony.