Génie musical, il a fait danser Bugs Bunny et inventé les premiers synthétiseurs. Le connaissiez-vous?

«C'était un genre de Frank Zappa d'une autre époque. Il était tellement avant son temps qu'on commence seulement à saisir son importance.»

Saxophoniste montréalais, Adam O'Callaghan a découvert Raymond Scott au hasard de ses explorations musicales. La révélation fut telle qu'il a choisi de monter un groupe pour rendre hommage à ce génial compositeur américain mort en 1994. Après deux concerts donnés à l'Université Concordia, son quintette se produira demain et samedi au théâtre Rialto, en première partie du film Deconstructing Dad, réalisé par le fils de Raymond Scott, Stan Warnow.

Loin d'un bête hommage, ce documentaire a fait office de catharsis pour Warnow, qui ne se gêne pas pour critiquer le «père absent» derrière le brillant musicien. Mais ce projet lui a aussi permis de redécouvrir un créateur sans limite, qui voyait beaucoup plus loin que ses contemporains. «Plus je me plongeais dedans, plus mon respect a grandi pour son vaste registre, qu'il ait donné dans le jazz, le classique ou l'électronique», explique le cinéaste.

Raymond Scott a gagné sa croûte comme chef d'orchestre pour la radio et la télé dans les années 30, 40 et 50. Mais on le vénère surtout pour son incroyable quintette, qui a littéralement repoussé les limites du jazz. Ses compositions étaient tellement avant-gardistes que même son groupe de virtuoses s'écorchait dessus. «Ses partitions étaient très difficiles à jouer, explique Adam O'Callaghan. Mais il voulait que ce soit exactement comme il l'avait entendu dans sa tête. Ses musiciens le détestaient. En plus, ils n'avaient pas le droit d'improviser!»

Malgré leur complexité, ces morceaux n'étaient pas sans humour. Qu'on pense à The Penguin, The Toy Trumpet, War Dance for Wooden Indians ou Powerhouse, son classique ultime. Séduite par leur côté ludique et frénétique, Warner s'en servira d'ailleurs dans plus de 120 épisodes de la série Looney Tunes, faisant ainsi connaître sa musique - à défaut de son nom - à des générations d'amateurs de Bugs Bunny et du Roadrunner. Ces pièces seront en outre réutilisées bien des années plus tard pour quelques émissions des Simpson et de Ren & Stempy.

Au début des années 60, Scott se retire progressivement de la vie sociale pour se consacrer à sa plus grande passion: la musique électronique. Cloîtré dans son labo, limite parano, il explore secrètement les possibilités de cette nouvelle lutherie et invente un ancêtre du synthétiseur qu'il baptise «electronium». Le jeune Robert Moog devient son disciple, avant de créer son propre instrument, le mythique Moog. Au milieu des années 60, alors que la pop conquiert le monde, Scott enregistre une série de disques de musique pour bébés aujourd'hui considérés comme les précurseurs de la musique ambiante. Ce sera sa dernière grande contribution à la musique du XXe siècle, avant d'être dépassé par l'informatique naissante et de s'éteindre, fauché et oublié, à l'âge de 86 ans.

Même s'il est en voie d'être réhabilité par divers projets (rééditions CD, concerts hommages), le nom de Raymond Scott est encore largement méconnu. Comment expliquer que cet authentique génie soit passé à la trappe de l'histoire? Une question de personnalité, croit Stan Warnow.

«Comparativement à Frank Zappa, mon père n'était pas un performeur. Il était foncièrement timide et préférait être dans son studio que sous les projecteurs. Quant à ses machines éléctroniques, elles n'avaient pas le potentiel pour être un produit de masse, comme celles de Robert Moog. Je pense aussi que sa paranoïa l'a empêché de mieux diffuser ses découvertes. Il ne voulait pas partager et je crois qu'en fin de compte, cela lui a nui...»

L'hommage du Rialto permettra peut-être de faire du «rattrapage», comme le suggère Adam O'Callaghan. En plus du film et d'une courte prestation du quintette, le DJ Otis Fodder nous offrira des musiques remixées et inspirées de l'oeuvre de cet authentique visionnaire.

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Raymond Scott: Événement cinéma et musique. Vendredi 10 et samedi 11 décembre au Théâtre Rialto (5397, avenue du Parc) à 20 h.