Alexandre Désilets assume-t-il son personnage? Il s'y applique sincèrement, doit-on conclure au terme de sa rentrée montréalaise. Rentrée qui suivait la sortie récente de La garde, album pop de haute tenue. Avec public fervent, caméramans, photographes et journalistes entassés jeudi dans un Cabaret Juste pour rire qui avait l'air plus grand que nature. Vu comme l'un des meilleurs de la génération montante, le mec était attendu.

Alexandre Désilets est un chanteur aigre-doux, a-t-on pu revérifier.

Ce bel artiste aime faire contraster délicatesse et testostérone. Muscles saillants, gueule d'ange. Forme athlétique, voix haut perchée qui jouxte parfois le registre du contre-ténor. Puissance et subtilité de l'expression vocale. Percussions viriles, guitares vigoureusement frottées, voix aérienne. Mélodies lentement exposées, harmonies rapidement exécutées, rythmes de tempo moyen. Refrains de pop, ponts de rock, conduits électros. Riffs terrestres en introduction, vocalises aériennes en conclusion. Voyez le genre?

Lorsque la tension est solidement installée entre ces extrêmes, Alexandre Désilets réussit son pari, son personnage s'impose et séduit. La sauce aigre-douce y nappe des chansons finement ciselées, serties de détails et de soins remarquables. Lorsque la tension tombe, cependant, la perception de l'aigre-doux passe au mi-figue mi-raisin. Quelques longueurs et baisses d'intensité? M'est avis que oui. L'ordre des chansons y est peut-être pour quelque chose. Une meilleure stratégie en ce sens permettrait au chanteur de suspendre son auditoire à ses lèvres du début à la fin, de dessiner la courbe d'intensité propice aux grandes soirées. Jeudi soir, ce n'était pas toujours le cas. On était parfois aspiré, on se retrouvait parfois en position d'observateur.

Cela étant, Alexandre Désilets n'a pas fait les choses à moitié pour sa rentrée montréalaise. Un band compétent a été réuni: Daniel Baillargeon et Jérôme Hébert aux guitares, Steve Caron à la batterie, François Lessard à la basse, auxquels se sont joints le percussionniste Liu Kong Ha (du groupe Random Recipe) et la violoncelliste Marianne Houle (de Monogrenade).

Aussi nobles et circonspects soient-ils, de tels choix orchestraux exigent à mon sens une intelligibilité encore plus élevée, à la hauteur de ses albums ciselés avec raffinement et précision. Bien sûr, la scène ne doit pas être comparée au studio, mais doit néanmoins offrir une expérience aussi unique. Avec le temps, ce chanteur au profil secret pourra de mieux en mieux exploiter ses traits de personnalité. Trop timide? Je ne crois pas. Au contraire, il faut miser sur cette discrétion, sur cette pudeur apparente. Question de dosage.

Jeudi soir, la table était dressée pour qu'Alexandre Désilets y parvienne. Éclairages subtils, ballons de lumière disposés autour de la formation et de son soliste, usage de torche électrique, j'en passe. Au programme, il nous aura chanté l'intégrale de son nouvel album: Changer d'air, Plus qu'il en faut, J'oublierai, Les prévisions, Si loin, La garde, Le repère, Le souffle court, À moitié fou, À pas de géant. Des extraits d'Escalader l'ivresse, son album précédent, ont aussi été interprétés (notamment en formule «bivouac» au premier rappel), sans compter les chansons Où vent nous mène et Cracher dans l'eau.

Quoiqu'inégale, cette généreuse performance laisse prévoir les améliorations, voire les festins, à venir. Les réglages d'une personne complexe étant complexes...