On va régler la question tout de suite. Quand Éric Lapointe chante Des hommes qui tombent, chanson qui ouvre son album Le ciel de mes combats, oui, c'est de lui qu'il parle: «Je suis tombé et je me suis relevé à maintes reprises dans ma vie, explique-t-il. Je veux pas trop en parler, mais bon, il y a eu mon hospitalisation, le coma (en février 2009), suivis de plus d'un an de sobriété. Sauf que je suis pas plus fin qu'un autre: j'ai eu des moments émotifs, des rechutes. Je retombe encore... mais je me relève encore. Là, ça va bien.» Bon, maintenant, est-ce qu'on peut parler du disque?

Il y avait urgence. Urgence de s'occuper la tête et les mains pour mieux combattre les démons intérieurs, urgence parce que Roger Tabra est malade (diabète, cirrhose du foie...), urgence de retrouver le plaisir de monter sur scène après 150 représentations de son précédent spectacle: tout cela explique le ton effréné du sixième disque studio d'Éric Lapointe, Le ciel de mes combats: «Tu comprends, moi, j'ai un public qui revient. Quand il revient pour la troisième fois, faut que tu lui donnes du nouveau, pis toi, faut que t'aies un peu la chienne...»

Jamais tempéré, Éric Lapointe a donc décidé de se faire peur rare: «J'ai callé le lancement du disque alors que j'avais juste deux tounes écrites. Disons que je n'ai pas dormi pendant deux mois...»

Le lancement a finalement été repoussé de deux semaines (il a lieu lundi). Mais Lapointe a néanmoins relevé le défi, grâce à l'aide de «ses deux vieux compères»: Roger Tabra (avec qui Lapointe signe les textes) et Stéphane Dufour (réalisateur, arrangeur, compositeur et guitariste). Réfugié dans son studio maison - un endroit étonnant, apaisant, tout en noir et rouge, comme une matrice -, Lapointe a travaillé jour et nuit. Mis de la pression sur son monde. Demandé à Corno de peindre à toute vitesse un tableau à partir de son visage pour la pochette. Le tableau, rouge et noir (c'est Corno qui l'a décidé), a carrément séché pendant son transport de New York à Montréal!

Dans sa maison du bas de la ville, Éric Lapointe joue au piano l'intense Berceuse à l'infidèle, qui clôt Le ciel de mes combats. «Une toune de gars, dit Lapointe après nous avoir servi du café. L'histoire d'un homme qui pile sur son orgueil parce que la femme qu'il aime lui revient... Ça ne veut pas dire qu'il lui posera pas de questions le lendemain matin, précise-t-il en riant. Mais pour l'instant, il lui dit de se coller contre lui, on va essayer de faire comme si de rien n'était...»

Autre chanson instantanément marquante, Les années coups de poing relate l'amitié entre Tabra et Lapointe: «Quand on s'est connus, j'avais 20 ans et Roger en avait 40, explique Lapointe, âgé aujourd'hui de 41 ans. Cette chanson, c'est littéralement notre histoire dans la période pré-Obsession (premier disque de Lapointe en 1994). Roger était barman à l'Écume des jours à l'époque, il en avait les clés, on ouvrait le bar à trois heures, on finissait endormis sur le plancher. On pensait même pas qu'on collaborerait étroitement un jour, tous les deux. Roger avait sa carrière, ses shows, sa cour! Tous les deux, on était le couple de petits fendants dans le milieu des poètes!»

Même longue collaboration avec Stéphane Dufour, devenu son guitariste dès la première tournée de Lapointe, au milieu des années 90. Mais les excès des uns et des autres avaient jeté un froid entre les trois amis. En 2008, l'album Ma peau avait été enregistré pratiquement sans Dufour et Tabra. Le guitariste en a profité pour lancer deux disques solo et a signé avec la compagnie de disques du fameux guitariste Steve Vai. Quant à l'auteur et parolier, il a écrit l'étonnante comédie musicale Dracula et publié une autobiographie écorchée vive, La foulitude.

Le trio offensif du rock

Et puis, le trio a renoué: «On s'est retrouvés où on s'était laissés, dit Lapointe. On est une équipe de rêve: on se connaît, on a tellement travaillé ensemble, ça va tout seul. On avait l'impression de retomber dans nos pantoufles... mais des pantoufles avec des  studs, disons.»

Tabra a même essayé de le convaincre de chanter des chansons sur son futur enfant - car Éric va devenir père, début 2011, d'un petit Lapointe, un petit garçon, avec sa blonde Mélanie Chouinard. «Roger avait écrit un texte superbe à ce sujet, mais... Ça m'a fait quelque chose quand j'ai senti l'enfant bouger, mais je ne peux pas dire que je réalise vraiment... Je vais attendre, j'aime mieux faire quelque chose de senti.»

C'est pour ce genre d'honnêteté qu'on aime Lapointe. La même honnêteté un peu brutale qui anime la chanson Tu t'es laissé tomber, écrite à l'intention d'un proche qui s'est suicidé: «Pendant la production du disque, le frère de mon meilleur ami s'est pendu. On le connaissait bien, en fait, on connaît bien toute la famille, qui est très proche de la mienne, depuis des années: à tous les réveillons de Noël, on mélange nos deux familles.»

«J'ai donc traversé ce deuil-là à travers mon meilleur ami, ses parents. Et on a décidé d'en faire une chanson. Avec Roger, on a travaillé fort: on a écrit plusieurs versions du texte, on voulait pas donner une vision romantique du suicide, comme il y en a tant. En même temps, j'avais tendance à y aller trop fort: j'ai lu une version à la mère du défunt, qui m'a dit: «T'as pas besoin de le déterrer, pis de le finir à coups de pelle.» Fallait que je modère ma colère, mais que je l'exprime aussi, que l'entourage puisse l'exprimer...» C'est fait.

Le Party des Fêtes

Comme sur presque tous ses albums, Lapointe reprend une chanson. Cette fois, c'est Ils s'aiment de Daniel Lavoie. «J'avais jamais pensé la reprendre parce que je trouvais l'originale parfaite. Et puis, un jour, mon trucker, le gars qui conduit mon 53 pieds d'équipement (Pascal Belisle) m'est arrivé avec cette idée-là. Je croise ensuite Jonas, et comme j'aime beaucoup sa voix raunchy, je lui ai demandé de venir la chanter avec moi.»

Or, Jonas va faire partie du spectacle Le Party des Fêtes à Lapointe qu'Éric monte pour la onzième année, avec Michel Pagliaro et son frère Hugo: «D'après toi, on va-tu la chanter, Ils s'aiment, c'est sûr. Mais on a aussi tellement hâte de jammer avec Pag, ça va rocker!»

On espère que Lapointe chantera aussi, à cette occasion, Aimer pour deux, chanson d'amour intense... entre le public et le chanteur, qui clame: «Au pied du mur/Dans le coma/Par les temps durs/Par les temps froids (...) tu m'as aimé comme un héros/je t'ai aimé comme un sauvage.» «Le public a toujours été ma thérapie, reconnaît Éric. C'est toujours en show que j'ai retrouvé confiance en moi, c'est toujours la scène qui a repompé mes pneus.» Lapointe s'interrompt un instant avant de conclure simplement: «C'est le public qui m'a aimé à ma place.»

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Infos sur le Party des Fêtes de Lapointe: ericlapointe.com