Depuis le Festival en chanson de Petite-Vallée d'où il est reparti avec six des dix prix attribués à l'été 2009, l'auteur et interprète Bernard Adamus, 32 ans, collectionne les récompenses: grand gagnant des Francouvertes de 2010, Grand prix de la relève Archambault, de la Socan, Félix de la révélation de l'année. Cette semaine, quatre prix Gamik se sont ajoutés à sa collection. Rencontre avec un ex-vendeur de sapins, tellement surpris et sonné par son succès qu'il se pince parfois en criant «devil câlice» !

Bernard Adamus doit sa carrière à un douanier américain. Un douanier buté qui n'entendait pas à rire. C'était il y a exactement deux ans. Comme à chaque novembre depuis des années, Bernard Adamus s'apprêtait à passer six semaines sur le coin d'une rue dans le Bronx à vendre des quantités industrielles de sapins aux Noirs et aux latinos croyants du quartier. Mais va savoir pourquoi, ce jour-là, le douanier du poste de Lacolle n'était pas de bonne humeur. En entrant le nom d'Adamus dans l'ordinateur, il a constaté que le grand jack à casquette venait aux États toujours au même moment depuis neuf ans avant de conclure qu'il était un vendeur illégal de sapins de Noël. Désolé mon gars, mais tu ne rentres pas États-Unis. Ni aujourd'hui ni les cinq prochaines années. Next. Au suivant.

 

 

«C'est bête à dire, mais si ce gars-là m'avait laissé passer, je ne serais pas ici aujourd'hui en entrevue, je n'aurais pas écrit la chanson La question à 100 piasses et je n'aurais probablement pas terminé mon premier album. Les sapins, c'était très payant. Ça me permettait de vivre sans trop de soucis et ça me poussait à toujours reporter à plus tard l'écriture de chansons et l'enregistrement d'un album», raconte Bernard Adamus devant une tasse de camomille.

Non seulement le douanier américain a-t-il rendu service à Adamus, il nous a permis de découvrir un poète et musicien dans la lignée de Plume et de Richard Desjardins qui enrobe de gospel, de blues et de rap des textes âpres sur les petites gens, les quartiers ouvriers de l'est de Montréal et tous les exclus de l'hiver de force québécois. En lançant Brun, son premier album bricolé à la mitaine, Bernard Adamus était fier, mais s'attendait à ce que son rayonnement soit limité. S'il avait su!

En le voyant entrer au Placard, un café de l'avenue du Mont-Royal, j'ai pensé à l'image du plombier polonais mille fois reprise en 2005 par les opposants en France au projet de traité constitutionnel européen qui permettait à un plombier polonais de venir travailler en France au salaire et avec les protections sociales de son pays. J'ignore si Bernard Adamus connaît la plomberie. Je sais seulement que lorsqu'il enlève son éternelle casquette, il a le visage rond et le front large de ses ancêtres polonais. Né à Gdynia près des chantiers maritimes du port de Gdansk, Adamus est arrivé au Québec à 3 ans avec sa mère et son frère Michel. Il n'a jamais connu son père, mais tient à porter son nom.

«Je parle polonais, mais je ne sais ni l'écrire ni le lire. Je suis retourné en Pologne, souvent à cause de mes grands-parents, mais ma vie est au Québec et ma culture est québécoise.»

Pure laine

Si ce n'était son nom de famille, Bernard Adamus passerait pour un pure laine, voire un produit du Québec de René Lévesque plutôt que de la Pologne de Lech Walesa. Il a grandi au coin de Saint-Viateur et Hutchison, a fréquenté l'école Querbes, l'école Lajoie et l'école secondaire PGL, d'où il a été renvoyé au bout de trois mois. «J'ai commencé à être renvoyé des écoles dès la maternelle», lance-t-il avec une certaine fierté. Pour calmer le turbulent adolescent, sa mère, comptable à la Caisse de dépôt, l'a envoyé trois ans pensionnaire au Collège Notre-Dame des Servites, à Ayer's Cliff dans les Cantons-de-l'Est. «Au début je freakais à l'idée d'être pensionnaire loin de mes amis de Montréal, mais en fin de compte, les Servites, c'était un peu un collège de mauvais garçons. Pendant trois ans, j'ai eu ben du fun.»

Adamus termine ses études secondaires à Montréal au Collège Mont-Saint-Louis. Même si enfant, il a fréquenté des camps musicaux où il a appris à jouer de la guitare et de la flûte traversière, la musique ne l'intéresse pas tant que ça.

«À 17 ans, je voulais être écrivain comme Réjean Ducharme ou Henry Miller. Pour le reste, je n'avais aucune idée de ce que j'allais faire dans la vie.»

Entre le cégep Saint-Laurent où il a fait deux semestres en sciences humaines et l'UQAM où il a suivi vaguement des cours en histoire du judaïsme, Adamus a pratiqué mille métiers. Bus boy dans un resto chic du centre-ville, coursier à vélo, soutien technique en informatique et, bien entendu, vendeur de sapins de Noël. Entre-temps aussi, il est devenu père d'une petite fille, Eva, qui a aujourd'hui 8 ans et dont il a la garde partagée. Une semaine où la petite était avec lui dans sa piaule près du marché Jean-Talon, Adamus s'est mis à gratouiller sa guitare, à composer des musiques et à chanter. Il a bricolé un démo qu'il a remis au producteur et musicien Éric Villeneuve, rencontré par hasard dans un concert. Le lendemain, Villeneuve lui offrait d'enregistrer un CD dans son studio maison. «Ça a pris du temps, beaucoup de temps. On enregistrait quand le studio était libre. On n'avait pas d'idée précise sauf celle de remplacer la basse par un tuba ou un trombone. Rendu à la pochette, on n'avait pas d'idée de titre ni comment on allait appeler le groupe. J'avais déjà eu un groupe qui s'appelait Véranda, puis Reverend. Éric a poussé pour que je sois le front et que le projet porte mon nom. J'hésitais. J'avais de la difficulté à assumer tout ça. J'en ai encore parfois aujourd'hui.»

Début chaotique

L'aventure venait de débuter cahin-caha, avec un leader récalcitrant qui était loin de se douter que l'ADISQ allait lui remettre 18 mois plus tard, le Félix de la révélation de l'année. Les médias ont fait grand cas ce soir-là de son discours émaillé de sacres et se terminant par un «devil câlice» qu'il avait entendu des années plus tôt dans un sketch de RBO. Plusieurs ont critiqué sa tenue un brin débraillée. «J'étais tellement convaincu que je n'allais pas gagner que je n'avais pas envie de magasiner du linge pendant trois heures et d'être déçu. J'avais mis une chemise propre. C'était bien assez» raconte Adamus sans s'excuser.

Face à toute l'attention portée à sa personne, Adamus est ambivalent. Il est heureux que ses affaires marchent et qu'il ait pu donner, en 2010 seulement, 90 concerts avec son groupe, devant des salles bondées et enthousiastes. Content aussi de faire que de la musique à temps plein sans être obligé de chercher une jobine. Flatté que Dan Bigras, Zachary Richard et la Fondation André Dédé Fortin lui proposent des collaborations.

Mais il est aussi un peu épuisé par les tournées, les virées, les nuits folles et trop arrosées. Dès la mi-décembre, il compte tout arrêter pour souffler un peu, prendre des vacances et recommencer à écrire. Les habitants du Bronx en quête de sapins de Noël devront se passer de ses services cette année, et toutes les autres à venir.