Cinquante ans d'indépendance n'auront pas changé grand-chose pour l'Afrique. Mais ce n'est pas une raison pour baisser les bras, croit Tiken Jah Fakoly. Au contraire.

Sur son 10e et plus récent album, African Revolution, le chanteur reggae d'origine ivoirienne invite la jeunesse africaine au combat. La pochette nous le montre sur un cheval, tel un chef indien sur le sentier de guerre. «Je voulais que ça ressemble à un appel aux armes», explique-t-il, joint à Paris dans les bureaux de sa maison de disques.

La différence, c'est que sa révolution à lui passera par l'éducation, et non par la violence. Parce qu'il en est convaincu: c'est sur ce plan que doit se jouer l'avenir du continent noir. Mieux informés, les Africains n'en seront que plus éclairés sur ce qui se passe chez eux et dans le monde.

«Il faut envoyer nos jeunes à l'école. Pour qu'ils s'intéressent à ce qui se passe. Pour qu'ils connaissent mieux leur histoire. Pour les pousser à revendiquer leurs droits. Pour qu'ils se rendent compte qu'ils ont du pouvoir», explique Fakoly, qui a lui-même financé la construction de trois établissements scolaires au Mali, en Côte-d'Ivoire et au Burkina Faso avec l'argent de ses concerts.

Cette prise de conscience débouchera selon lui sur une plus grande solidarité entre les divers pays du continent noir, qui lèchent encore les bottes du géant occidental. «Notre unité politique et économique est indispensable, renchérit Tiken Jah. C'est ce qui va nous permettre d'obtenir notre véritable indépendance.»

D'où l'importance, ajoute le chanteur, de retenir tous ces jeunes Africains qui pensent trouver une meilleure vie à l'étranger. Car ce sont eux qui doivent construire l'Afrique de demain. «Avec les années, je me suis rendu compte que personne ne viendra régler nos problèmes à notre place», dit-il.

Pas étonnant que le nouvel album de Fakoly soit aussi africain dans sa forme.

S'éloignant de son style reggae, le chanteur de 42 ans exploite des instruments folk mandingues comme le ngoni, le balafon, la kora, la yabara ou le soukou. Ce parti pris musical - qu'on doit en partie aux producteurs Kevin Bacon et Jonathan Quarmby (Finlay Quaye) - aura permis au chanteur de mieux cibler son message. «J'ai donné le pouvoir aux instruments traditionnels africains parce que mon disque s'adresse à 90% à la jeunesse africaine», confirme celui qui vit depuis sept ans en exil au Mali, après avoir reçu des menaces de mort dans son pays d'origine. African Revolution est aussi le fruit d'un heureux travail de collaboration avec Jeanne Cherhal, Magyd Cherfi (de Zebda) et Féfé (de Saïan Supa Crew) pour la contribution aux textes, ainsi qu'avec la chanteuse franco-nigérianne Asa, le temps d'un duo (Political War).

Certains ont qualifié ce virage esthétique de «radical» pour Tiken Jah Fakoly. On y verra plutôt le prolongement naturel des neuf albums précédents. Car si le son s'est adouci, le discours reste foncièrement incisif et dénonciateur (Poliztical War, Je dis non! , Sors de ma télé). Après 15 ans de lutte par la chanson, Fakoly croit donc encore au pouvoir des mots? «Oui, parce que ce sont eux qui éveillent les consciences, répond-il. Et parce que ce sont eux qui pourront changer l'Afrique dans laquelle vivront mes enfants.»

On lui fait remarquer que les choses ne changent pas vite. Il admet que les indépendances n'ont pas toujours donné les résultats escomptés. Et déplore ce «vieux complexe d'infériorité» que traîne encore l'Africain - «piétiné» par des siècles d'histoire - face au système occidental. Mais pour Tiken Jah Fakoly, il est clair que la révolution ne fait que commencer.

«Au fond, nous n'avons que 50 ans. Nous sommes encore jeunes...»

MUSIQUE DU MONDE

TIKEN JAH FAKOLY

AFRICAN REVOLUTION

UNIVERSAL