Avec On veut la paix, son septième CD, sa propre étiquette et un studio à son nom, Martin Deschamps célèbre en grand ses 20 ans de métier. Pour cet ex-étudiant en graphisme qui a abandonné sa job steady chez Bell, le rock' n roll était moins un choix de carrière qu'un appel du coeur qu'il n'a jamais regretté.

Martin Deschamps marche à l'aide des deux plus belles béquilles en ville. Fabriquées sur mesure par le fabricant de vélos Marinoni, chacune est incrustée d'un médaillon de la paix, symbole fétiche du rocker.

Il y a environ huit ans, plombé par ses vieilles et pesantes béquilles d'hôpital, Deschamps a imaginé un modèle idéal. L'image d'un vélo hyperléger lui est apparue, suivie d'une marque québécoise de renom: Marinoni. Il a aussitôt appelé le fabricant pour passer sa commande et, gracieuseté de ce dernier, s'est retrouvé avec les béquilles peace and love les plus légères et les plus rutilantes en ville.

Cette anecdote pour démontrer la débrouillardise et l'ingéniosité d'un rocker pas tout à fait comme les autres, qui, depuis sa naissance, se bat contre un état qui n'est pas évident, mais qui le fait avec le sourire et avec un supplément d'énergie positive étonnant.

J'aurais voulu allez chez Martin Deschamps à Rawdon, là où il vit, dans une maison en face de celle de ses parents et de biais avec le studio d'enregistrement qu'il s'est fait construire l'an passé. Mais, faute de temps, nous nous retrouvons dans le resto d'un hôtel du Vieux-Montréal. S'il n'en tenait qu'à lui, Martin Deschamps ne viendrait jamais à Montréal. Il a quitté la ville avec ses parents à l'âge de 9 ans pour s'établir à Rawdon et, depuis, Rawdon est son île, son refuge et le centre de sa vie musicale et domestique.

«Même au temps où j'étudiais en graphisme au cégep d'Ahuntsic et où je vivais en appartement à Montréal, je me dépêchais de monter à Rawdon toutes les fins de semaine. Mes amis, ma famille, tout le monde qui compte pour moi était là, raconte celui qui, pendant cinq longues années, a travaillé pour le service de graphisme de Bell Canada. «Bell Canada m'a appris la rigueur et la discipline et les fois où j'organisais des présentations visuelles pour le grand patron Jean Monty, j'avoue que j'étais vraiment fier, surtout que j'avais les cheveux jusqu'aux fesses et une grosse barbe. Mais le graphisme, c'était le plan B. Ce que je voulais faire, et pas seulement la fin de semaine, c'était de la musique. Quand mes parents ont compris que c'était vraiment important pour moi, ils m'ont encouragé à tenter ma chance.»

Vingt ans plus tard, autant dire que les parents de Martin Deschamps n'ont plus besoin d'être convaincus que leur fils unique a fait le bon choix. C'est devenu encore plus évident, dernièrement, quand le rocker a quitté la maison de production Zone 3 pour voler de ses propres ailes.

Poli et diplomate de nature, Deschamps se contente de dire que c'est une accumulation de petites déceptions qui l'ont poussé à quitter à l'amiable le gros bateau de Zone 3. Le départ a coïncidé avec la construction d'un studio flambant neuf en face de chez lui et dont il est propriétaire. Son père, Robert Deschamps, habile de ses mains, s'est occupé de la finition à l'intérieur; sa mère, Denise Bissonnette, en est l'administratrice en chef. «Avant quand j'avais une idée de riff, j'appelais mon répondeur et je la jouais pour l'enregistrer. Là, j'ai juste à traverser la rue et j'enregistre le riff dans mon studio», dit-il, pas peu fier.

Un rocker avisé

Contrairement à l'image clichée du rocker excessif, trop gelé ou trop saoul pour s'occuper de ses finances, Martin Deschamps est un homme d'affaires avisé. Il tient cela de son père, qui a longtemps travaillé pour une entreprise de produits chimiques, mais aussi de sa mère, qui a fondé une entreprise de confection de tuques de sport, les Tuques DDC, qu'elle a vendue par la suite. Deschamps a compris jeune que, pour gagner sa vie en faisant du rock au Québec, mieux valait éviter le modèle coopératif du groupe, source de conflits et de luttes de pouvoir. C'est précisément là qu'il se distingue de son idole Gerry Boulet, pour lequel il a composé en partie la chanson Dans ta voix sur son dernier CD.

Chose étonnante, malgré le culte qu'il voue à Gerry Boulet, Martin Deschamps ne l'a jamais rencontré ni même vu en concert. Pourtant, Gerry était encore vivant quand Deschamps avait entre 15 et 20 ans et aurait pu facilement aller l'entendre quelque part. Pourquoi n'est-ce jamais arrivé?

«Peut-être parce que ça ne devait pas arriver, lance Martin Deschamps avec un regard équivoque, en ajoutant qu'il tenait à voir le dernier spectacle d'Offenbach au Forum en 1985, mais que ses parents le lui ont interdit. Il y a dans cette anecdote la capsule de ce qu'a dû être la jeunesse d'un ado handicapé de naissance qui insistait pour vivre comme les autres, dévalait les pentes de ski à fond de train, gagnait des médailles, avait des tonnes d'amis, faisait du rock à la ZZ Top dans le sous-sol, tout cela avec l'encouragement de ses parents.

Mais il y avait sans doute une limite à ce que ces derniers pouvaient cautionner sans mourir d'inquiétude. Un concert d'Offenbach au Forum était cette limite. Devant cet interdit, Martin Deschamps aurait pu se révolter. Il a préféré y voir un signe du ciel lui permettant de communier éternellement, et sans l'intrusion de la réalité, au mythe de Gerry. Pour arriver à cette conclusion, il faut beaucoup de force de caractère. D'où tire-t-il cette force et cette absence totale de défaitisme?

«Faut y croire, dit-il, faut avoir la paix intérieure. Ce que je dis aux jeunes à qui je vais parler dans les écoles, c'est de se regarder dans le miroir chaque matin et d'aimer ce qu'ils voient. Moi, quand je me regarde, je me fais rire et j'essaie de trouver de quoi de positif. Évidemment, la paix intérieure, ça se travaille. Disons qu'avoir une femme, une business, une petite fille et une certaine stabilité, ça m'a aidé.»

Pourtant, malgré tout l'amour qu'il porte à sa petite Lou, Martin Deschamps affirme qu'il ne veut pas d'autre enfant. Il n'approfondit pas trop le sujet, sinon pour dire que les premières années d'un bébé, dont il arrivait difficilement à changer les couches et qu'il avait sans doute peur d'échapper, l'ont un peu angoissé. Il ne veut pas revivre cette angoisse, même si, en voyant ce que le bébé est devenu, il comprend qu'il s'en est fait pour rien.

En attendant qu'il change ou non d'idée, son nouveau bébé est un CD de rock pur et classique, un retour aux sources qui est la somme de toutes ses influences et de la collection de 700 vinyles de rock qu'il possède.

«Une des missions que je me suis données depuis le début, c'est de défendre le rock au Québec et d'y perpétuer cette musique. Ça ne me dérange pas quand les critiques disent que mes influences paraissent trop. Tant que ce n'est pas de la copie, ça va. À mes yeux, ce disque-là, c'est un disque sur l'engagement. Je suis peut-être à contre-courant avec un thème comme celui-là, mais être à contre-courant, j'y suis habitué.»

Dans 10 ans, Martin Deschamps se voit faire exactement la même chose qu'il fait aujourd'hui et avec exactement la même ardeur. Ceux qui voudront l'en dissuader devront se lever de bonne heure.