L'année 2010 aurait dû être une «annus horribilis» pour James Di Salvio: en mars, faillite personnelle, en avril, mort de son père, le fameux Bobby Di Salvio, fondateur de bars mythiques... Et puis, la musique, comme toujours, est venue tout pacifier: on l'a d'abord vu chanter avec les gars de Misteur Valaire, puis avec le rappeur Karma. Et voilà que sort mardi le quatrième album de son groupe Bran Van 3000, The Garden. Rencontre avec un jardinier urbain.

Si mes amis Émilie, Rachel, les deux Hugo, Isabelle, Nicolas, Caroline et Jean-Sébastien tombent sur cet article, ils se souviendront de ce souper improvisé, il y a quelques années, qui est devenu peu à peu un super party, puis une nuit blanche inoubliable. C'est ce qu'est The Garden, quatrième album du collectif montréalais Bran Van: la trame sonore d'une soirée entre amis où le tempo, la musique, l'atmosphère changent, basculent même parfois, mais où tout est néanmoins harmonie inattendue. La trame sonore d'une «nuit magique», qui était d'ailleurs le nom d'un des plus fameux bars de son père Bobby. L'album a d'ailleurs failli être baptisé One Night...

«C'est exactement ce genre de soirée, confirme James Di Salvio, âme dirigeante du fameux combo montréalais. Pas une soirée dans un club, précise celui qui est toujours DJ à ses heures, mais plutôt une soirée dans un appartement ou au bar du coin, avec ses habitués et ses clients de passage, où il se passe plein de petites choses émotives...»

Il a quelque chose d'émotif, James, dans le bar un peu glauque du centre-ville où se déroule l'entrevue (j'hallucine sur un des murs, couvert d'une tapisserie avec motifs de bornes-fontaines, parcomètres, souris et pigeons!). On est indéniablement downtown, assis aux côtés du downtown man par excellence, celui qui a arpenté, animé et aimé les centres-villes de toutes les grandes agglomérations, dont Los Angeles, où il a passé plusieurs années, avant de finalement revenir à Montréal. D'abord en 2008 pour y présenter un super show avec BV au Festival de jazz, ensuite cette année. «Ça m'a aidé, faire le disque et tout, à Montréal, ça m'a changé les idées, tout le monde was there, dit-il avec son français mêlé d'anglais. Le garden du disque, c'était d'abord ici, revenir et redécouvrir Montréal, mais aussi le Québec, aller dans des pow wow, dans des chalets...»

Cet étrange jardin, beau, mais parfois menaçant et parfois menacé («Ça peut être heavy, un jardin, tu capotes et tu paniques à cause d'un bruit, pis tu te rends compte que c'est juste le vent dans les arbres...»), est-ce que c'est aussi une métaphore de l'Éden? «Oh non, c'est certainement la dernière chose à laquelle j'aurais pensé, répond James en riant. Quoique... C'est sûr qu'on vit quotidiennement la tentation, particulièrement cette gang-là, Bran Van.» Disons que les Bran ont croqué dans à peu près toutes les pommes interdites d'Amérique du Nord...

Les jardiniers

Presque toute la tribu d'origine de Bran Van, celle qui figurait sur l'album Glee en 1997, s'est pointée, un moment ou un autre, dans le studio des réalisateurs The Troublemakers, dans la Petite Italie: EP Bergen, Stéphane Moraille, Liquid, tout le monde ou presque a répondu à l'appel silencieux. Beaucoup de filles - beaucoup de voix de filles sur l'album. Beaucoup de gars, surtout aux instruments et à la réalisation. Bref, la famille: «Une chanson comme Oui Got Now raconte un peu l'histoire de notre groupe, c'est une métaphore de notre vie, avec ses ups and downs. Quelqu'un me demandait comment ça avait commencé, la gang: c'était du monde qui avait un méchant sens de l'humour, même à 21, 22 ans, et du monde qui était tanné du «drama».»

L'album puise beaucoup dans le funk et le reggae; ceux qui l'achèteront pourront même télécharger une version Dubstrumental du disque: «C'est ça qu'on était, en 1997, et qu'on est toujours: des rastas qui vénèrent la nature, la nature psychédélique», explique le James de 41 ans en mordant dans un bagel.

Mais sur The Garden, on trouve aussi des musiciens comme Jean-Guy Grenier, maître de la pedal steel guitar et du banjo: «Dans tous les albums de Bran Van, il y a toujours un élément du folklore du Québec, fait remarquer James. Dans Glee, c'était Mara (Tremblay) ... Dans chacun de nos albums, il y a des petits patterns qui reviennent, par exemple Zappa! On découvrait Frank Zappa et on trippait sur lui quand on enregistrait Glee. Cette fois-ci, j'ai réécouté de vieux disques de Zappa, j'ai redécouvert que c'était un joueur de banjo, alors on a demandé à Jean-Guy de venir jouer du banjo sur The Garden...»

On parle de mille autres affaires, de la magnifique pochette, des textes étonnants, de son père, de ses amis réalisateurs Les Troublemakers, de la vie en studio («Il y a toujours un élément nomade, gitan, dans Bran Van, mais on a quand même une roulotte, même si parfois ça sent fort dans la roulotte, pis que t'aimes mieux aller dormir ailleurs!»), de son copain Jean Leloup... et de Bran Van 3000: «Tout était là pour que ça ne marche pas très longtemps, Bran Van, que ça s'effoire, reconnaît-il. Et ça s'est effoiré. Mais tout était là pour que ça renaisse. J'ai fini par accepter que c'était plus fort que moi: tu peux bien dire que tu ne ferais plus jamais de Bran Van de ta vie, mais tu rencontres par hasard ton copain EP, il te demande si ça te tente de faire un petit groove ce soir, et c'est reparti. Ça renaît, comme un jardin...»