Remettre le tango à la mode? Qu'il soit passé de mode ou pas, le projet franco-argentin Gotan Project n'en démord pas : ce genre musical mérite d'être exposé à un nouveau public, quitte à le maquiller avec des rythmes électroniques. Entrevue avec le leader du groupe, Philippe Cohen Solal.

Après avoir été invité par le Festival international de jazz de Montréal en 2003, son groupe, Gotan Project, est aujourd'hui au programme de Pop Montréal.

«C'est marrant, parce que notre musique est un peu inclassable -électronique, latine. On est invité par toutes sortes de festivals», réagit Philippe Cohen Solal. Inclassable, peut-être, mais pas hermétique pour autant: le premier album du groupe, La Revencha del Tango (2001, sur label Ya Basta), avait ce petit quelque chose d'accessible, racoleur et envoûtant qui a vite charmé les masses.

Sur scène, Gotan Project projetait néanmoins une image traditionnelle du tango, en dépit des jolis effets de projection sur écran diaphane et de la présence de synthétiseurs.

Le bandonéon, la petite section de cordes, très tango tout ça, mais avec ces breakbeats et séquences rythmiques house qui font le caractère du groupe. Sans compter le couple de danseurs, bien sûr.

«Sur scène, nous étions dix la dernière fois, nous sommes redevenus sept», dit Cohen Solal pour illustrer le changement du projet. «On a changé la formule en laissant tomber les cordes. Là, la particularité de Tango 3.0, c'est plus l'arrivée des cuivres, sur disque comme sur scène.»

Et c'est probablement l'élément le plus novateur que Gotan Project ait proposé à son tango depuis ses débuts, il y a dix ans. Remixer le tango, c'était joli, mais ça sentait la formule, une impression confirmée dès Lunatico (2006), le deuxième album.

À la première écoute, la pomme qu'est Tango 3.0 ne semble pas être tombée très loin de l'arbre. Il faut cependant s'attarder au travail d'arrangements plus qu'aux rythmiques modernes (et beaucoup plus house, cette fois, mais un house berçant) pour y voir une progression. Ces cuivres, justement. Des compositions qui illuminent comme les bonnes idées. La chanson Tango Square qui ouvre le disque, par exemple, est un clin d'oeil au Congo Square de La Nouvelle-Orléans, berceau du jazz.

«Avant même de commencer l'album, en discutant avec les musiciens, on s'était dit que ce serait bien d'essayer les cuivres. Et Christophe (H.Mueller, avec qui Solal formait autrefois le duo house Boyz From Brazil) était aussi dans le coup. Eduardo (Makaroff, qui complète le noyau de Gotan Project), qui connaît bien l'histoire du tango, disait que des cuivres, il n'y en a pas eu beaucoup. Nous n'avions aucun référent, aucun disque de tango avec des cuivres à écouter, pour nous inspirer. Alors j'ai sorti des disques de jazz: Duke Ellington, Glenn Miller, même des trucs de la collection Ethiopiques, le jazz éthiopien. La traduction de ces langages jazz jusqu'au tango a été réussie par notre arrangeur de cordes.»

Et l'idée d'inviter Dr. John à jouer du piano sur Tango Square? «J'allais à La Nouvelle-Orléans pour enregistrer l'album de Féloche, un nouvel artiste sur Ya Basta, qui fait de la chanson française cajun. Dr. John était prévu pour un duo vocal sur son album, ce qui était déjà incroyable. Alors j'en ai profité pour lui demander s'il ne jouerait pas du piano sur Tango 3.0...»

«Mais je crois que tout ça contribue à l'évolution du tango, dit le musicien. Notre proposition était de marier cette musique à l'électronique. On a aussi été le catalyseur d'un mouvement en Argentine, l'électro-tango, constitué de jeunes musiciens qui suivent nos traces.

«Cela dit, l'électronique dans le tango, ça n'a pas d'importance: plusieurs musiciens font évoluer cette scène avec les instruments acoustiques qu'on connaît. Ce qui compte, c'est l'âme qu'on injecte dans le tango. La Revancha du titre de notre premier disque, c'était contre l'ignorance, ou les a priori, que les gens ont de cette musique, parfois considérée comme une musique de vieux... Je voulais plutôt prouver que c'est une musique cool et accessible. D'une certaine façon, je crois qu'on a réussi.»

Gotan Project, au Métropolis le 29 septembre.

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