Le pianiste, rappeur, compositeur et désormais acteur Gonzales lance ces jours-ci son 7e album solo, Ivory Tower, inspiré du jeu d'échecs auquel il affirme s'être intéressé ces dernières années. Tellement qu'il lui a aussi donné l'idée d'un scénario de long métrage, aussi baptisé Ivory Tower, film mettant en vedette Tiga, Feist, Peaches et lui-même, qui sera présenté en primeur canadienne au Festival du nouveau cinéma.

«I'm a funny guy!» échappe, en anglais pour une rare fois durant notre conversation, Jason Beck, dit Gonzales. Rien qu'à le voir aller dans ses élucubrations de projets, on esquisse un sourire. Elle a l'air drôle, sa vie, au Montréalais exilé à Paris, où on l'a joint pour causer cinéma et disco. Ceux qui savent savent. Et rient avec lui: ses fans montréalais semblent prêts à tout lui pardonner, les excès de styles et les performances approximatives -on se souvient de l'échec cuisant que fut son concert d'orgue à Pop Montréal en 2006-, pour peu que l'artiste ne se repose pas sur ses lauriers et laisse parfois étinceler quelques idées de génie à travers sa pop.

Sur scène, four ou pas, l'expressif pianiste aime faire rigoler. «Je fais exprès pour que l'entertainer en moi passe devant le musicien, insiste-t-il. Ce serait très facile de fermer ma gueule et d'être un pianiste sage, peut-être même que ce serait plus clair pour les auditeurs. Je suis comme un film hollywoodien: on y va en acceptant qu'on nous ment, et on apprécie les meilleurs menteurs. J'essaie simplement d'être un très bon menteur.»

L'analogie entre divertissement, musique et cinéma n'est pas tout à fait fortuite. Pendant près de 45 minutes, nous avons discuté de tout ça en même temps, et en particulier du ciné, son nouveau dada.

Après avoir interprété «les mains de Gainsbourg» dans le conte de Johann Sfar, Gonzales s'est investi dans la scénarisation (avec l'aide de la Française Céline Sciamma) du long métrage Ivory Tower, une première réalisation du pote allemand Adam Traynor, par ailleurs membre du collectif Puppetmastaz (avec Beck, évidemment, tout ça est une affaire de tribu...). Le film, remarqué lors de sa première au festival de Locarno le mois dernier, est attendu au Festival du nouveau cinéma.

«Locarno nous a donné une mention spéciale! s'emballe-t-il. C'est très encourageant, parce qu'on ne savait pas trop ce qu'on faisait.» Un autre de ses projets débiles, après le duel de piano contre Andrew WK (que Chilly Gonzales a remporté en trichant!) et son record, homologué par le Livre des records Guinness, plus longue performance solo (27 heures, 3 minutes, 44 secondes).

Ivory Tower est une histoire d'apparence simple et truffée de situations absurdes et loufoques, «avec plein de détails autobiographiques». Un triangle amoureux opposant deux frères, champions d'échecs. Des échecs au grand écran: ça rappelle Bergman, tiens. «Qui ça? Si tu savais, ma culture cinéma est tellement nulle. Je suis un pur produit de la banlieue canadienne des années 80. Rocky, c'est mon genre de repère cinéma. Moi, je suis intéressé par les formes que tout le monde reconnaît. Une chanson de trois minutes trente secondes, ça parle à tout le monde. Un record Guinness, ça parle à tout le monde.»

Le disque Ivory Tower, que lance le label Arts&Craft la semaine prochaine, respecte cet esprit du «droit au but». Des plages disco/house rafistolées par les amis Boyz Noize, généralement instrumentales (et très mélodieuses, ça s'écoute bien en faisant le ménage) sur lesquelles Chilly Gonzales redevient le MC de ses débuts.

Sur la grinçante I Am Europe, en particulier, une distillation en peu de mots de tous les clichés désagréables des vieux pays. «Je suis un cendrier en forme de chien/Je suis une moustache qui se débat en portant un Speedo», rappe-t-il en anglais, et ça va en empirant... Je vous le donne en mille: c'est le premier extrait, remix et vidéoclip inclus, d'Ivory Tower!

«Tu sais quoi? Je me retrouve dans tout ce que je rappe sur cette chanson, dit-il. Pour moi, c'est affectif, et comme je fais désormais partie de la famille, j'ai le droit de dire des trucs comme ça. Je ne pense pas qu'on va mal le prendre -j'ai dit des trucs bien pire que ça à propos des Français...»