1990-2010 : 20 ans séparent la sortie du premier album et du douzième album de Lynda Lemay. Tout juste avant d'entreprendre une tournée du Québec, elle lancera en effet son nouveau disque, Blessée, mardi. Enregistré en bonne partie devant public, il compte 18 chansons, dont 15 inédites. Toutes écrites avec empathie extrême et lyrisme, quotidienneté et démesure. La Presse a rencontré l'auteure-compositrice-interprète dans son studio de Verchères.

La vue sur le fleuve est extraordinaire. Un paquebot qui passe lentement, un gros poisson qui saute pour happer un insecte, des oiseaux partout et les flots sans cesse changeants du Saint-Laurent, voilà ce que Lynda Lemay peut contempler de la bay-window de son studio de Verchères, situé à quelques pas de sa maison, mais aussi des bureaux de sa boîte de production Caliméro. Partout autour, c'est vert ou bleu.

D'ailleurs, dans le studio, si les claviers font dos à la fenêtre, le tapis roulant d'exercice, lui, fait face à l'eau. «Je n'en fais pas assez souvent, je le sais, explique la longiligne chanteuse. Mais je suis plutôt occupée, avec les chansons, les spectacles, les enfants...» Très présents, les enfants, dans la conversation et la vie de la chanteuse de 44 ans. «Tu vois, ma grande (Jessie, 13 ans, dont le papa est Patrick Huard) peut répéter ses chorégraphies de cheerleading sportif avec ses amies sur le gazon du studio, même si elle préfère le baseball: elle est catcher!» Quant à la petite (Ruby, 4 ans, qui a pour papa le réalisateur Michael Weisinger, mari de Lynda Lemay), elle a transformé la salle de spa en maison pour ses toutous.

Jessie et Ruby vont toutefois moins voir leur mère dans les prochaines semaines: celle-ci entreprend une tournée québécoise avec ses quatre musiciens à compter de jeudi. En novembre et décembre, elle retournera en spectacle en France, où le nouvel album est d'ailleurs lancé lundi.

La manière Lemay

Il y a une manière Lynda Lemay, une façon d'écrire des chansons qui se distingue des autres avec, depuis ses débuts, la même structure: dans de longues chansons en rimes riches, elle parle d'une multitude de sujets plutôt lourds et sombres, qu'elle mêle à des thèmes très légers pour détendre l'atmosphère. Toutes ses chansons, elle les retranscrit à la main, depuis 1994, dans de gros cahiers reliés et intitulés, en lettres d'or, Chansons!

Parmi les chansons qu'elle y a choisies pour l'album Blessée, il est question d'inceste, de lesbianisme mal assumé, de vieillesse et de maternité sous toutes ses coutures, mais aussi des charmes relatifs des golfeurs! Qu'on aime ou pas les chansons de Lynda Lemay, personne n'y est indifférent. Comme Tricot Machine et quelques autres rares artistes, la chanteuse polarise les opinions: on aime ou on déteste, pas de place pour le tiède.

«Mais ça, c'est les journalistes qui le pensent, avance Lynda Lemay. Il y a plein de gens qui sont réticents à dire qu'ils aiment ce que je fais, mais les critiques, eux, c'est clair qu'ils n'aiment pas ça. Tiens, je suis sûre que dans la critique de Blessée, il y en a un qui va citer: «J't'ai introduit dans mon conduit/Au plus profond que je pouvais/Et j'me suis dit «ouh qu'il est petit/Où s'ra le plaisir, où s'ra l'effet?»» et va déclarer que c'est ça, la poésie de Lynda Lemay! Heille, c'est un extrait de chanson comique (Farce d'oreille, consacrée... aux bouchons d'oreille!), c'est sûr que c'est pas de la poésie, c'est pour s'amuser. Mais aucun critique ne va parler de Debout sur les pissenlits, où j'ai vraiment travaillé fort pour faire un texte émouvant sur un rythme assez up tempo, que je n'utilise pas d'habitude.»

Égoïstement

Elle n'a pas tort. Et tient le coup grâce à la scène, qui nourrit les ventes de ses disques. Son précédent album (Allo c'est moi, 2008) a été vendu à 20 000 exemplaires au Québec et 175 000 en Europe, sans soutien radio. «C'est pendant la tournée en France qu'on a enregistré la plupart des chansons de Blessée, devant public, précise-t-elle. Pourquoi j'ai intitulé le disque ainsi? Parce que personne ne vit sans blessure.» Et elle empoigne sa guitare, jamais loin, pour chanter un extrait de la chanson-titre. Et puis enchaîne avec une autre, inédite, sur le thème de la concordance des temps de verbe!

Les sujets ne manquent pas, c'est clair. Mais quand même, pourquoi écrire une chanson comme Une mère, description archétype de la maman qui se laisse manger par ses enfants, comment s'identifier à un tel personnage, loin de la vie maternelle au XXIe siècle?

«Mais voyons, cette chanson correspond à une partie de ce que je vis comme mère, avec ce que ça a d'exigeant, tellement lourd parfois, répond Lynda Lemay. On peut critiquer la longueur de ma chanson, mais on ne peut nier qu'elle parle d'un aspect réel de la maternité, et c'est pour cela que plein de mamans viennent m'en parler. J'écris égoïstement, pour moi, pour me faire plaisir, reprend-elle, mais ça part toujours de choses qu'on me confie et que j'ai besoin de transformer en poésie. Et pour retenir l'attention, j'emploie des images fortes, c'est normal. Ce sont comme des petits films, avec un début et une chute à la fin. Certains préfèrent sans doute la poésie plus floue, mais moi, je ne fais pas dans l'impressionnisme. Et puis, c'est peut-être ma façon de toujours me préparer au pire. Quand j'ai écrit La fausse couche, j'étais enceinte. Quand j'ai écrit Les canards sur les enfants qui meurent pendant un moment d'inattention de leurs parents, c'était peut-être pour conjurer le sort...»

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Lynda Lemay, en tournée dès le 9 septembre (complet pour les trois représentations à Québec). Infos: lyndalemay.com