Légende du reggae, Bunny Wailer aime bien jouer les vieux sages. Mais ne lui parlez surtout pas des nouveaux Wailers et du Festival de Jazz de Montréal.

«Combien de temps va durer l'entrevue? Quinze minutes pas plus. J'ai d'autres choses à faire.»

Drôle de façon d'entamer une conversation. De toute évidence, Bunny Wailer n'a pas trop de temps à perdre avec un autre journaliste. La suite de notre entrevue le forcera cependant à prolonger notre entretien.

Le mythique rastaman sera en ville demain soir pour la clôture du Festival de reggae de Montréal. Considérant qu'il est encore trop tôt pour promouvoir son prochain album (Cross Cultures, à paraître l'automne prochain), le chanteur promet qu'il se concentrera surtout sur ses 46 années de carrière, ce qui n'est pas plus mal quand on connaît la stature du bonhomme.

Fondateur des Wailers en 1964, avec Bob Marley et Peter Tosh, Bunny Livingstone - alias Wailer - est en effet un pilier de l'histoire du reggae. Blackheart Man, son premier album solo, paru à la fin des années 70, est toujours considéré comme un classique absolu. Pourtant, on continue de le surnommer «le Wailer oublié».

Qu'il soit encore en vie, alors que ses deux compères sont décédés, explique sans doute qu'il n'ait pas encore été élevé au rang de mythe. Loin d'être mémorable, sa production discographique plus ou moins récente n'a probablement pas aidé sa cause. Mais cela, dit-il, lui importe peu. «C'est mieux d'être ici et oublié, que mort et mythifié», lance-t-il.

Ce qui le dérange, en revanche, c'est que les Wailers aient été ressuscités par d'autres musiciens, qui exploitent le nom du groupe sans son autorisation. Plutôt calme jusque-là, le vieux sage commence à pomper quand on aborde cette question.

«Ce ne sont pas les Wailers, ils sont des imitateurs!, lance-t-il en haussant le ton. Ces mecs n'ont jamais écrit de chansons. Ils surfent sur la réputation d'un groupe que nous avions mis au monde à force de travail et d'acharnement.»

Une dette au Jazz

Crinqué, le chanteur le devient encore plus quand on évoque son spectacle avorté au Festival de jazz en 1998.

Pour ceux qui ne s'en souviendraient pas, Bunny Wailer ne s'était jamais présenté à Montréal, malgré les 17 000$ d'avance et de billets d'avion que lui avait déjà envoyés le FIJM. Au dire d'André Ménard, qui l'avait mis au programme, Wailer n'a toujours pas remboursé cette somme.

Le chanteur explose quand on revient sur cet incident. Selon lui, tout était de la faute du Festival de jazz. «Je devais faire trois concerts au Canada avec mes 14 musiciens. Les deux premiers ont été annulés, mais comme les billets d'avion étaient déjà achetés, on était obligés de passer une semaine au Canada à ne rien faire avant de jouer à Montréal. J'ai dit OK, mais j'ai demandé au FIJM qu'ils changent la date du vol ou qu'ils nous paient au moins l'hôtel pendant cette semaine de flottement. Ils ont dit non. J'ai dit: si c'est comme ça, je ne viens pas du tout!»

André Ménard - qui a longtemps eu cette histoire en travers de la gorge et ne s'est pas privé pour le dire - affirme avoir pardonné à Bunny Wailer: «S'il m'invite à son concert, ça me fera plaisir d'y aller.»

On passe le message au chanteur. Mais celui-ci est trop crinqué pour nous entendre. Loin de se calmer, le «Blackheart Man» continue à pomper et se met à vociférer en patois jamaïcain en accusant le Festival de jazz de lui avoir fait mauvaise presse.

Fâché, Bunny Wailer annonce qu'il ne viendra plus jamais au Canada si on continue à l'emmerder avec ces histoires. Souhaitons seulement qu'il se reprenne en beauté pour ce rendez-vous manqué. Parce que, au-delà des embrouilles et des contrats qui tournent mal, il y a toujours la musique. Et de ce côté, Bunny Wailer n'a rien volé à personne.

Au Festival de reggae, demain, sur les quais du Vieux-Port. www.montrealreggaefest.com